Survol du graffiti et de ses considérations juridiques au Canada

Survol du graffiti et de ses considérations juridiques au Canada
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Gabriel St-Laurent [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce
Longtemps relégué aux marges de la société en raison de son caractère parfois illégal, le graffiti a connu un essor fulgurant au cours des dernières années, lui qui est désormais une figure omniprésente du paysage urbain de nombreuses villes. Toutefois, ce nouvel entichement pour l’art du graffiti et ses artistes est également venu amener avec lui son lot de considérations juridiques, particulièrement sous la perspective de la Loi sur le droit d’auteur[2]. D’un côté, certains des enjeux soulevés par le graffiti oppose les droits d’auteur et les droits moraux que détiennent les artistes graffiteurs au droit de propriété des tiers possédant les immeubles sur lesquels les dessins et les œuvres sont apposés. D’un autre côté, des enjeux apparaissent quant à l’emploi illicite que peut faire un tiers non-propriétaire d’un graffiti réalisé de manière illégale et méritent également que l’on s’y attarde.
Le graffiti et le droit d’auteur
D’emblée il importe de mentionner qu’en dépit du caractère parfois illégal d’un graffiti, ce dernier sera considéré comme étant une œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur dès qu’il remplira les conditions nécessaires établies par cette dernière, à savoir (i) être original et (ii) être fixé sur un support tangible. Gare, toutefois, à ne pas confondre originalité et nouveauté. La loi n’exige pas qu’une œuvre soit nouvelle, simplement qu’elle n’ait pas été copiée et qu’elle fasse l’objet d’un minimum de talent et de jugement.
Dès les conditions précitées remplies, son auteur pourra, a priori, tirer profit des droits économiques et moraux qui lui sont conférés en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. En ce sens, il pourra ainsi tenter d’empêcher un tiers de reproduire ou d’utiliser une copie de son œuvre sans son autorisation ou, encore, tenter d’empêcher un individu de déformer, mutiler ou autrement modifier son œuvre. Or, un artiste peut-il réellement invoquer ces droits lorsqu’il n’est lui-même pas propriétaire du support sur lequel est apposée son œuvre?
La déformation, mutilation ou modification d’un graffiti
La règle générale édictée au paragraphe 13(1) de la Loi sur le droit d’auteur est à l’effet que « l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre ». Suivant cette logique, qu’il soit légal ou illégal, les droits d’auteur dans un graffiti seront dévolus au premier titulaire du droit d’auteur, c’est-à-dire le graffiteur.
En vertu de la Loi sur le droit d’auteur, un artiste a droit à l’intégrité de son œuvre. En vertu de ce droit, ce dernier pourra obtenir des dommages-intérêts pour violation de son droit à l’intégrité s’il est en mesure de démontrer que son œuvre a été déformée, mutilée ou autrement modifiée d’une manière préjudiciable à son honneur ou à sa réputation ou encore si elle fut utilisée en liaison avec un produit, une cause, un service ou une institution sans son accord.
Qu’arrive-t-il donc lorsqu’un propriétaire foncier sur lequel un graffiti a été apposé de manière illégale décide de déformer, mutiler ou modifier une œuvre?
Dans le cas où le graffiti aurait été apposé de manière illégale (c’est-à-dire sans le consentement de son propriétaire), nul doute que le propriétaire foncier pourrait invoquer son droit de propriété qui lui confère « le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien ». De plus, le propriétaire pourrait également tenter de soulever le caractère illégal du geste posé par le graffiteur. Toutefois, dans la mesure où l’action judiciaire pour violation de droit moral serait intentée par le graffiteur, celle-ci ne serait pas entendue devant une cour criminelle, mais plutôt devant une cour civile. Dès lors, une cour civile ne serait pas le forum approprié pour traiter de la nature de l’acte posé par le graffiteur et le juge présidant l’instance devrait dès lors s’en tenir aux faits ainsi qu’aux questions de droits soulevés devant lui, à savoir si le graffiti constitue une œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur et, dans l’affirmative, si les droits moraux de l’artiste ont été violés.
Cela étant dit, le juge devra nécessairement tenir compte du fait que le droit de propriété du propriétaire fut violé, lui qui fut victime d’un méfait. Il ne serait donc pas complètement déraisonnable de penser que, lors de la mise en balance des intérêts des parties, le juge pourrait octroyer un poids supplémentaire à la violation du droit de propriété commise par le graffiteur auprès de la personne du propriétaire.
Dans le cas d’un graffiti créé de manière légale (c’est-à-dire effectué à la demande ou avec le consentement du propriétaire), la question de l’illégalité de l’acte commis par le graffiteur ne se poserait pas. C’est donc dire qu’un graffiteur pourrait avoir droit à des dommages-intérêts si la cour en arrivait à la conclusion que l’ajout ou la suppression d’une partie du graffiti équivalait à une atteinte à l’intégrité de l’œuvre et que cette dernière avait été effectuée d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation du graffiteur. À noter, toutefois, qu’en plus du droit d’auteur, une composante contractuelle pourrait également s’ajouter à l’évaluation du juge dans l’éventualité où les parties se seraient préalablement entendues pour conserver l’œuvre pour une période de temps prédéterminée.
Qu’en est-il, cependant, lorsque l’œuvre est complètement détruite? Une cause américaine[3] a récemment attiré l’attention de plusieurs lorsqu’un juge a décidé d’octroyer 6,75 millions de dollars américains en compensation à 21 artistes qui avaient vu leurs œuvres être détruites par un propriétaire foncier.
Malgré qu’elles partagent de nombreuses similitudes, les lois canadiennes et américaines en matière de droit d’auteur divergent quant à la protection conférée aux droits moraux[4]. En effet, tandis que la loi américaine est plus restrictive en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux « works of visual art », la destruction d’une œuvre y est néanmoins incluse comme étant un acte répréhensible s’il est établi que l’œuvre était d’une « recognized stature ». Le droit canadien, lui, ne comprend aucune équivalence et ne traite que de la déformation, de la mutilation ainsi que de la destruction d’une œuvre.
Or, pour certains auteurs canadiens, « il est de principe que l’acquéreur d’une œuvre doit utiliser cette dernière, conformément à sa nature. » Selon ces derniers, « il n’y a pas pire mutilation que la destruction » et la destruction d’une œuvre équivaut dès lors à une violation du droit moral puisqu’elle prive son auteur d’une expectative de réputation.
À l’inverse, un autre courant de pensée est à l’effet qu’un individu qui se porte acquéreur d’un tableau n’est soumis à aucune obligation juridique et peut donc très bien choisir d’entreposer ce dernier dans son garage plutôt que de l’afficher sur le mur de son salon. Selon les adeptes de cette pensée, cette liberté dont jouit l’individu de pouvoir disposer librement de son bien inclurait également le droit de le détruire. Selon ces derniers l’absence du terme « destruction » dans le libellé de l’article 28.2 de la Loi sur le droit d’auteur et le fait que le gouvernement canadien n’ait pas encore pris de mesure en ce sens semblent donc signifier qu’au Canada, la destruction de l’œuvre ne fait pas partie des prérogatives d’un auteur, et ce, au grand désarroi de plusieurs.
La reproduction non autorisée d’un graffiti
La deuxième question qui peut se poser concerne l’utilisation illicite que pourrait faire un tiers d’un graffiti illégal. Est-il possible pour un graffiteur d’empêcher quelqu’un de reproduire son œuvre ou de commettre tout acte qui lui est exclusivement réservé selon l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, et ce, en dépit du caractère illégal du geste posé? Depuis quelques années, bon nombre de litiges, qu’ils se soient transposés devant les tribunaux ou non, ont opposé des graffiteurs à des entités commerciales.
À cet effet, nombreuses sont les entités telles que H&M, GM, Cavalli et Moschino qui ont vu des actions juridiques être intentées à leur encontre pour violation de droits d’auteur. Dans la plupart des cas, le geste reproché était lié à la reproduction interdite d’une œuvre d’art utilisée dans le cadre d’une publicité ou d’une campagne publicitaire. En réponse à ces poursuites, plusieurs compagnies ont soulevé le caractère illégal des graffitis pour justifier que les graffiteurs ne devraient pouvoir être en mesure de bénéficier des fruits de leur travail lorsque ce dernier fut effectué à l’encontre de la loi.
À Montréal, un cas similaire s’était produit lorsqu’un graffiteur notoire, Alex Scanner, avait intenté une poursuite à l’encontre d’une maison de production qui avait repris une de ses œuvres dans le générique d’une émission télévisée. Malgré le fait que le litige se soit réglé hors cour (comme bon nombre de poursuites similaires intentées aux États-Unis), il ne serait pas déraisonnable de penser que, dans la mesure où ce dernier aurait été en mesure de démontrer qu’une partie importante de son œuvre avait été utilisée sans son consentent et qu’une telle utilisation ne consistait pas en une exception prévue à la Loi sur le droit d’auteur, Alex Scanner aurait pu avoir gain de cause et obtenir certains dommages pour la violation de ses droits.
Conclusion
De marginal et mal-aimé à respecté et convoité, le graffiti fait désormais partie à part entière du paysage urbain et est devenu un actif intangible à part entière. Or, cette nouvelle popularité amène avec elle son lot d’énigmes juridiques, mises au jour en raison des agissements de certains.
Si le caractère illégal du graffiti ne peut être soulevé pour soustraire ce dernier de la protection qui lui est conférée par la Loi sur le droit d’auteur, la question des dommages qui pourraient être perçus en cas de déformation ou de destruction d’un graffiti, quant à elle, demeure complexe.
Cela étant dit, une question subsiste : le graffiti étant de nature temporaire, cette forme d’art réussira-t-elle néanmoins à laisser une trace indélébile dans le monde de l’art contemporain?
Pour plus d’information concernant les graffitis et droits d’auteur, n’hésitez pas à contacter l’équipe de ROBIC.
© CIPS, 2020.
[1] Gabriel St-Laurent est avocat chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.
[2] Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42,
[3] Cohen v. G&M Realty LP, (2018) 125 USPQ 2d 1708 (E.D.N.Y.).
[4]À travers le Visual Artists Rights Act of 1990 (VARA) 17 U.S.C. § 106A aux États-Unis