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RECOMMANDATIONS DU BUREAU DE LA CONCURRENCE EN MATIÈRE DE PRATIQUES COMMERCIALES TROMPEUSES : UN APERÇU

Andrée-Anne Perras-Fortin1 et Jonathan Chbat2 [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
1 Associée et avocate, 2 Stagiaire en droit

Le 15 mars 2023, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié ses commentaires[2] sur les travaux du gouvernement fédéral dans la foulée de la réforme de la Loi sur la concurrence[3](la « Loi »). Rappelons que la Loi a déjà subi d’importantes modifications en 2022[4]. Le récent mémoire du Bureau s’inscrit dans cette foulée ; il met l’accent sur les domaines pour lesquels des ajustements sont, de son avis, encore nécessaires.

Dans son mémoire, le Bureau émet plus de cinquante recommandations visant à moderniser le droit canadien de la concurrence. Bien qu’il aborde différents aspects fondamentaux de la Loi, nous nous attardons ici particulièrement aux recommandations qui concernent les pratiques commerciales trompeuses.

Le consommateur moyen et le prix de vente habituel

Tout d’abord, dans le but de sonner le glas sur l’inconstance des tribunaux dans leur détermination de la norme du consommateur moyen, le Bureau recommande d’importer dans la Loi la norme établie par la Cour suprême du Canada (« CSC ») dans l’arrêt Richard c. Time Inc.[5], à savoir le « consommateur crédule et inexpérimenté »[6]. Il est à noter que cet arrêt portait sur des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur (« LPC »)du Québec portant sur les indications fausses et trompeuses. Or, certaines de ces dispositions de la LPC étaient inspirées du texte de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, dont une version légèrement modifiée se retrouvait à la Loi[7], d’où la pertinence du choix du Bureau. La CSC avait conclu que le critère à retenir était celui d’un « consommateur crédule et inexpérimenté », c’est-à-dire, celui d’une personne qui croit ce qu’elle lit et dont on n’attend pas qu’elle procède à une remise en question. Ce critère, moins exigeant que celui décrit dans d’autres décisions rendues à l’époque, protège mieux le consommateur.

À l’égard des dispositions relatives au prix de vente habituel, le Bureau recommande d’inverser le fardeau de la preuve pour faire en sorte qu’il revienne dorénavant à l’annonceur de prouver que les rabais qu’il annonce sont véritables. Le Bureau recommande également de supprimer la présomption selon laquelle les indications d’économies sont basées sur les prix des concurrents, plutôt que sur les prix « habituels » de l’annonceur. Selon le Bureau, cette présomption s’écarte de la réalité du marché.

L’indication de prix partiel et les messages électroniques

Ensuite, au sujet de la nouvelle disposition prohibant « l’indication de prix partiel »[8] ajoutée à l’interdiction des indications fausses ou trompeuses le 23 juin 2022, le Bureau recommande au législateur de reprendre la plume pour clarifier certains aspects. Spécifiquement, le Bureau est d’avis que le libellé actuel concernant les indications de prix partiel a créé une faille qui permettrait aux annonceurs de faire supporter aux consommateurs canadiens leurs propres coûts de mise en conformité avec diverses lois. Pour remédier à cette lacune, il propose de préciser que l’exemption ne s’applique qu’aux frais obligatoires liés aux taxes de vente fédérales, provinciales ou territoriales.

De plus, le Bureau note que les dispositions de la Loi sur les messages électroniques ne mentionnent pas explicitement l’indication de prix partiel. Il suggère de préciser que les dispositions relatives à l’indication de prix partiel s’appliquent à toutes les pratiques commerciales trompeuses, y compris celles touchant les messages électroniques.

Le Bureau recommande également quelques ajustements aux dispositions de la Loi concernant les messages électroniques. Il propose demodifier le texte au paragraphe 74.1(6) de la Loi, afin d’inclure les recours administratifs en cas d’indications fausses ou trompeuses communiquées par messages électroniques, et de préciser à l’article 74.011 de la Loi que la preuve de tromperie n’est pas nécessaire pour établir l’infraction civile d’indication fausse ou trompeuse par message électronique, de manière analogue à la disposition pénale de la Loi.    

Les autres recommandations du Bureau en vue d’assurer un meilleur respect de la Loi

Finalement, pour mieux assurer le respect de la Loi en matière de pratiques commerciales trompeuses, le Bureau formule plusieurs recommandations :

  • prévoir un mécanisme permettant de choisir, selon la gravité de la pratique commerciale trompeuse, entre le régime criminel ou civil de la Loi ;
  • prévoir un plus large éventail de recours pour mieux protéger les consommateurs, non seulement en amont des pratiques commerciales trompeuses, mais aussi en aval, en leur permettant, par exemple, d’annuler un contrat qui résulte de telles pratiques ou de réclamer des dommages dans une plus grande mesure ;
  • permettre aux tribunaux d’émettre des ordonnances temporaires afin : (i) d’interdire qu’un comportement trompeur ne se reproduise dans les cas où il a cessé (et non seulement lorsqu’il est effectivement en cours au moment d’une demande du commissaire) ; et (ii) d’interdire qu’un comportement susceptible d’examen sensiblement semblable se reproduise ;
  • augmenter la capacité des tribunaux d’émettre des ordonnances permanentes à de tierces parties qui facilitent un comportement trompeur ; et
  • élargir le pouvoir des tribunaux en matière de gel des avoirs.

Les recommandations du Bureau étant faites, il reste à voir comment le législateur les accueillera. Nous suivrons de près les développements relatifs aux pratiques commerciales trompeuses. Entre-temps, n’hésitez pas à contacter les membres de notre équipe des Affaires réglementaires si vous avez des questions en lien avec l’application de la Loi.


[1] Andrée-Anne Perras-Fortin est avocate et Jonathan Chbat est stagiaire chez ROBIC, un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. Les auteurs tiennent à remercier Caroline Jonnaert pour la révision de la présente capsule.

[2] BUREAU DE LA CONCURRENCE, L’avenir de la politique de la concurrence au Canada. Mémoire du Bureau de la concurrence, 15 mars 2023, en ligne : <L’avenir de la politique de la concurrence au Canada>

[3] Loi sur la concurrence, L.R.C.(1985), c. C-34.

[4] Caroline Jonnaert, Jason Moscovici, « Modifications importantes à la Loi sur la concurrence : un aperçu », dans robic.com, juillet 2022, en ligne : <MODIFICATIONS IMPORTANTES À LA LOI SUR LA CONCURRENCE : UN APERÇU – ROBIC>.

[5] 2012 csc 8.                                                                                                         

[6] Id., par. 78.

[7] Id., par. 45.

[8] Rappelons qu’une « indication de prix partiel » existe lorsqu’un produit ou un service est affiché à un certain prix, alors que les consommateurs doivent payer des frais supplémentaires non imposés par le gouvernement pour acheter ce produit ou service.