PUBLICITÉ ET AFFICHAGE AU QUÉBEC : PLUS DE FRANÇAIS À L’HORIZON

Publicité et affichage au Québec: plus de français à l’horizon
Geneviève Hallé-Désilets*
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocate
Le 13 mai 2021, le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi intitulé Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (le « Projet de loi 96 »), proposant une importante réforme de la Charte de la langue française (la « Charte »), parmi d’autres lois. S’il est adopté tel que rédigé, le Projet de loi 96 modifiera la façon dont la Charte régit l’utilisation du français comme langue du commerce et des affaires dans la province, en ce qui concerne notamment l’affichage public et la publicité commerciale.
- Situation actuelle
Selon la Charte, doivent être rédigé(e)s ou figurer en français :
- Toute inscription sur un produit, sur son contenant ou sur son emballage, sur un document ou objet accompagnant ce produit, dont un mode d’emploi ou des certificats de garantie, et sur les menus et cartes de vins (ce texte peut être assorti de traductions, qui ne peuvent toutefois l’emporter sur le texte français)[1];
- Les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux et toute autre publication de même nature[2]; et
- L’affichage public et la publicité commerciale (sous réserve des exigences réglementaires, ils peuvent toutefois figurer à la fois en français et dans une autre langue, pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante)[3].
Le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (« Règlement ») contient certaines dérogations ou précisions aux principes de la Charte. Par exemple, dans les cas susmentionnés, il permet l’utilisation d’une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce dans une autre langue que le français, sauf si une version française en a été déposée[4]. L’expression « marque de commerce reconnue » a été interprétée largement par les tribunaux comme incluant non seulement les marques de commerce enregistrées, mais également celles faisant l’objet d’une demande d’enregistrement auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC ») ainsi que les marques de commerce en usage[5]. Malgré cette interprétation, l’Office québécois de la langue française (« OQLF ») considère que seules les marques de commerce enregistrées devraient être considérées comme des marques « reconnues » au sens de la Loi sur les marques de commerce, et donc visées par les exceptions du Règlement.
- Modifications proposées
Le Projet de loi 96 propose les modifications et/ou ajouts suivants :
- Les traductions des inscriptions relatives aux produits ne pourront être accessibles dans des conditions plus favorables que le texte français (en plus de ne pas pouvoir l’emporter sur le français)[6]. Par exemple, le mode d’emploi d’un produit disponible en anglais devra être tout aussi disponible en français[7];
- Le principe de neutralité technologique des publications commerciales serait expressément prévu, et ces publications incluraient également les bons de commande et tout autre document de même nature disponible au public. Toutefois, aucun tel document dans une autre langue que le français ne pourra être rendu disponible au public lorsque sa version française n’est pas accessible dans des conditions au moins aussi favorables[8];
- Une marque de commerce figurant dans des publicités commerciales ou affiches publiques pourra être rédigée uniquement dans une autre langue que le français à la condition qu’elle ait été enregistrée auprès de l’OPIC et qu’aucune version française n’ait été déposée. Cette modification suggère donc que si ces deux conditions ne sont pas réunies, les marques dans une autre langue que le français devront être traduites en français. De plus, les marques de commerce enregistrées dans une langue autre que le français figurant dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local devront être accompagnées d’inscriptions en français devant apparaître de façon nettement prédominantes (et non plus seulement suffisantes)[9].
L’OLQF aurait également des pouvoirs supplémentaires, lui permettant notamment de demander au tribunal d’ordonner le retrait ou la destruction d’affiches, annonces, panneaux-réclame et enseignes lumineuses contrevenant à la Charte[10].
- Une entrée en vigueur prochainement?
La plupart des dispositions du Projet de loi 96 entreraient en vigueur le jour de sa sanction[11]. Toutefois, la nouvelle exigence concernant l’enregistrement d’une marque figurant dans une autre langue que le français dans les publicités commerciales et l’affichage public n’entrerait en vigueur que trois (3) ans suivant la date de sanction[12].
Cette période devrait laisser suffisamment de temps aux titulaires de marques de commerce dans une autre langue que le français pour les enregistrer auprès de l’OPIC, et ainsi bénéficier de la nouvelle exception proposée, dans la mesure où aucune version française de ces marques n’existe au registre. Comme le délai d’enregistrement est actuellement minimalement de trois (3) ans, il serait recommandé pour ces titulaires d’envisager de déposer rapidement une demande d’enregistrement, afin d’éviter de devoir revoir (et possiblement modifier) toutes leurs affiches publiques et matériel publicitaire pour assurer leur conformité aux potentielles nouvelles exigences de la Charte. Bien sûr, l’enregistrement d’une marque de commerce octroie plusieurs autres avantages.
Selon les informations portées à notre attention, l’étude du Projet de loi 96 semble bien avancer et ce dernier pourrait être adopté dès ce printemps. Il ne fait aucun doute qu’il vaut mieux se préparer à l’avance en ce qui concerne notamment le dépôt de demandes d’enregistrement de marques de commerce auprès de l’OPIC compte tenu des délais d’enregistrement actuels. Dans l’intervalle, la Charte et le Règlement dans leur forme actuelle continuent de s’appliquer.
Pour plus d’informations concernant les exigences de la Charte de la langue française et ses modifications qui pourraient avoir un impact sur vos affaires ou celles de vos clients, nous vous invitons à communiquer avec notre équipe spécialisée en marques de commerce.
* Geneviève Hallé-Désilets est avocate chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.
[1] Article 51 de la Charte.
[2] Article 52 de la Charte.
[3] Article 58 de la Charte.
[4] Paragraphes 7(4), 13(4) et 25(4) du Règlement.
[5] Québec (PG) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie’s), [1] Québec (PG) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie’s), paragraphe 106 (appel rejeté : 156158 Canada inc. c. Attorney General of Quebec); Québec (Procureur général) c. St-Germain Transport (1994) inc., paragraphe 6.
[6] Article 42 du Projet de loi 96.
[7] « Étude détaillée du projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français », Journal des débats de la Commission de la culture et de l’éducation, 42e législature, 2e session (début : 19 octobre 2021), le jeudi 17 février 2022 – Vol. 46 N° 16, en ligne (Assemblée nationale du Québec) : < http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce-42-2/journal-debats/CCE-220217.html#11h30 >.
[8] Article 43 du Projet de loi 96.
[9] Article 47 du Projet de loi 96.
[10] Article 113 du Projet de loi 96 (article 184 de la Charte).
[11] Article 201 du Projet de loi 96.
[12] Paragraphe 201(5) du Projet de loi 96.