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Pouvoir repérer un art antérieur n’est plus une condition de son admissibilité pour établir l’évidence

Pouvoir repérer un art antérieur n’est plus une condition de son admissibilité pour établir l’évidence

Catherine Thall Dubé [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

Pendant de nombreuses années, une partie voulant se fonder sur l’évidence pour attaquer la validité d’un brevet devait satisfaire au critère de recherche raisonnablement diligente pour établir et invoquer l’existence d’un art antérieur. Cela impliquait que, non seulement l’information devait être accessible au public, mais également qu’un degré raisonnable de recherche diligente devait permettre à une personne versée dans l’art de trouver l’information. Cela impliquait aussi que l’art antérieur utilisé dans une analyse d’antériorité pouvait ne pas convenir dans une argumentation axée sur l’évidence : il suffisait qu’un ouvrage antérieur se trouve sur un rayon d’une bibliothèque ouverte au public pour invalider un brevet, alors que le même ouvrage aurait aussi bien pu ne pas être admissible pour conclure à l’évidence. On considérait souvent que, s’il n’était pas pertinent d’examiner si quelqu’un, pour une analyse d’antériorité, avait ou non lu l’ouvrage et si celui-ci se trouvait ou non dans un coin sombre et poussiéreux de la bibliothèque, il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que cette même personne versée dans l’art le recherche dans le coin le plus reculé d’une bibliothèque pour une analyse de l’évidence. Cette distinction peut laisser perplexe, notamment si on considère que le libéllé des articles relatifs à l’antériorité et à l’évidence de la Loi sur les brevets est la même en ce qui concerne un art antérieur.

Avant le 10 mai 2019, date à laquelle la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Aux Sable Liquid Products LP et al. c. JL Energy Transportation Inc., 2019 CF 581, nombre de décisions avaient effleuré la question du critère de l’évidence, mais aucune n’avait véritablement approfondi la question de l’intention du législateur en employant un énoncé identique à celui de la disposition sur l’antériorité de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets pour rédiger la disposition sur l’évidence de l’article 28.3. À vrai dire, beaucoup de décisions divergeaient sur la question.

Dans son raisonnement, le juge Southcott fait état de ces décisions divergentes, mais relève que ces tribunaux n’ont pas eu « l’occasion d’entendre des arguments de fond pertinents comme ceux présentés par les parties en l’espèce », y compris les principes d’interprétation législative. Il est toutefois influencé par l’analyse du juge Locke dans Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp, 2016 CF 883 à propos de l’importance du monopole conféré par un brevet du seul fait de l’existence de « divulgations nouvelles […] et non évidentes », sans se demander si une recherche raisonnablement diligente aurait permis de repérer l’art antérieur.

Parallèlement à l’analyse développée dans Pollard, le juge Southcott accueille l’argumentation d’Aux Sables fondée sur le principe d’interprétation législative « voulant qu’une loi soit interprétée à la lumière de son libellé, de son contexte et de son objet ». Interpréter la disposition sur l’évidence différemment de la disposition sur l’antériorité, alors que les deux dispositions sont exprimées dans les mêmes termes, serait contraire à la « présomption selon laquelle l’uniformité d’expression s’entend de l’uniformité de sens ».

Dès lors, une référence à un art antérieur ayant été rendu accessible au public avant la date applicable prescrite par l’article 28.3 de la Loi doit désormais faire partie de l’art antérieur pour les besoins d’une analyse de l’évidence, sans égard au fait qu’une recherche raisonnablement diligente aurait ou non pu permettre de repérer cette référence.

© CIPS, 2019.

[1] Catherine Thall Dubé est avocate chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.