Pensez avant, prétendez après: Les conséquences de la décision Elomari c. Agence Spatiale Canadienne
P
ENSEZAVANT,PRÉTENDEZAPRÈS:LESCONSÉQUENCESDELA
DÉCISIONELOMARIc.AGENCESPATIALECANADIENNE
NADIAPERRI*
LEGERROBICRICHARD,
S.E.N.C.R.L.
A
VOCATS,AGENTSDEBREVETSETDEMARQUES
1.Introduction
2.Faitsdontdécouleleprésentlitige
3.Lesquestionsenlitige
3.1Laprescription
3.2L’existencedel’invention
3.3L’existenceounond’unecession
3.4Laresponsabilitécivile
3.4.1Lefaitd’êtredouéderaison
3.4.2Lafaute
3.4.3Lepréjudice
3.4.4Leliendecausalité
4.Lesdommagesintérêts
5.Conclusion
«Agoodnameisrathertobechosenthangreatriches,
butitslossmayrequireheavyfinancialsolace»
1
1.Introduction
Le13octobre2004,laCoursupérieure,souslaplumedel’honorablejugeDanielle
Grenier,arenduunedécisionselonlaquelleelleaoctroyélasommedecinqcent
cinquantetroismillecinqcentdollars(553500$)auD
rSamirÉlomari(ci-aprèsle
«demandeur»)àtitrededommagesintérêts
2.
Initialement,l’actiondudemandeurétaitfortsimple.Elleétaitlaconséquencedes
agissementsdélictueuxdelapartdel’Agence(ci-aprèsla«défenderesse»)qui
auraitsupposémentd’unepartaccaparésoninventionnomméeInSitu
©CIPS,2005.*Avocate,NadiaPerriestmembredeLEGERROBICRICHARD,S.E.N.C.R.L.,uncabinet
multidisciplinaired avocats,d agentsdebrevetsetd agentsdemarquesdecommerce.Publiéà(mai
2005),17-2CPI.Publication334.
1RaymondBrown,TheLawofDefamationinCanada2eéd.(Scarborough,ThomsonCanada
Limited,1994).
2Élomaric.AgencespatialecanadienneJE2004-2140(C.S.Q.;2004-10-13)j.Grenier.
2
StrenghtenedMetalMatrixComposites(ci-après«l’invention»),unetechnologie
innovatriceconçueparledemandeuret,d’autrepart,d’avoircédéladitetechnologie
àuneautreentreprise,soitH2Tinc.,agissementspourlesquelsledemandeur
réclamaitlasommedequatorzemillionstroiscentsoixante-quinzemilledollars(14
375000$)àtitrededommagesintérêts.Enfait,cesontlesquatredéfensesquiont
étédéposéesparladéfenderesseenréponseàladiteactionquiontrendulacause
complexeetontfinalementeupoureffetd engagerlaresponsabilitécivile
extracontractuelledecelle-ci.
2.Lesfaits
Dansuneactionquiportesurladiffamation,nouscroyonsqu’ilestprimordial
d’expliqueravecprécisiontouslesfaitsetd ainsiétablirunerécapitulation
permettantlacompréhensiondesmultiplesévénementsquiontdonnélieuàladite
action.
SamirÉlomari,unéruditenmétallurgieetsciencedesmatériaux,acomplétéun
stageauprèsduprestigieuxMassachusettsInstituteofTechnology(ci-après
«MIT»).D’ailleurs,c’estpendantleditstageauMITqueledemandeurarencontré
ArvindSundarrajanqui,selonledemandeur,étaitco-inventeur,toutcommeRachid
BoukhilietleD
rMertonC.Flemmings,del invention.Enfait,c’estleDrFlemmings
qui,ultimement,asuggérél’enregistrementdeladiteinvention.
Le6mai1996,ledemandeuracommencéunstaged’étudesetderecherche
auprèsdeladéfenderesse.Lorsqueledemandeuradébutécelui-ci,ilapriscontact
aveclegestionnaireduprogrammededéveloppementetdetransfertde
technologiedeladéfenderesse,MarcTremblay,afind’obtenirunbrevetpourson
invention.D’ailleurs,c’estcedernierqui,le30mai1996,aenvoyéunelettreau
ConseilderecherchesensciencesnaturellesetengénieduCanada(CRSNG)afin
d’êtrerenseignésurlesprocédésenglobantunedemandedebrevet.
Le13août1996,JuliuzSzereszewski,agentdebrevetsmandatéparla
défenderesse,atransmisaudemandeurunelettrequi,ultimement,devaitêtre
déposéeauBureaudebrevetsdesÉtats-Unis,etluiadonnélemandatdefaire
circulerladitelettreauprèsdesautresco-inventeurspourqueceux-ciyapposent
leursignature.Unedeuxièmelettrevisantexactementlemêmebutquelapremière
aétéenvoyéele6avril1998parl’agentSzereszewski,maiscettefois-ciàJean-
MarcChouinard,chefduBureaudelacommercialisationauprèsdela
défenderesse.Deplus,unedemandeformelledebrevetaunomdeladéfenderesse
aétédéposéeauprèsdel’Officedelapropriétéintellectuelleenoctobre1996par
M.Szereszewski.
Le22octobre1997,ladéfenderesseetleMITontsignéuneententeparlaquelleils
ontdésigné,d’unepart,ladéfenderessecommeétantlacopropriétairede
3
l’inventionàêtrebrevetéeet,d’autrepart,leMITcommel’agentdebrevetsdela
défenderesse.
LadéfenderesseetlasociétéH2Tinc.ontsignéuneententele25novembre1997,
parlaquelleladéfenderesses’estengagéeàverseràH2Tinc.unmatériaudont
elleprétendêtrelacréatrice.Deplus,àl’insududemandeur,uneconventionde
licenceaétésignéeentrelesmêmespartiesenfévrier1998,dontl’objetétait
d’accorderàH2Tinc.desdroitsdecommercialisationsurl’inventiondudemandeur.
Unefoismisaucourantdeladiteconvention,ledemandeuramanifestéson
opposition.
Ledemandeuraquittéladéfenderesseenmai1998ets’estassociéavecM.
Boukhili,alorsquecederniertravaillaitcommeconsultantauprèsdeFreinNew
Tech,uneentreprisequiconçoitdesrotors,afindeformerNewTechAdvanced
Materials.
Enaoût1998,ledemandeuraintentéuneactionparlaquelleilréclamaitlasomme
dequatorzemillionstroiscentsoixantequinzemilledollars(14375000$)àtitrede
dommagesmatériels,morauxetexemplaires.
Peuaprès,soitle3novembre1998,uneconventionaétésignéeentreClaude
RancourtetYvonRancourt,lesactionnairesetadministrateursdelacompagnie
FreinNewTech,ledemandeuretM.Boukhili,parlaquellelesdeuxinventeursont
cédéàNewTechAdvancedMaterialstouslesdroitsqu’ilsdétenaientdansune
inventionqui,auxdiresdudemandeur,étaitdifférentedecellefaisantl’objetdela
poursuiteintentéeenaoût1998contreladéfenderesseetpermettraitàNewTech
AdvancedMaterialsdes’infiltrerdansledomainedelatechnologie.Ledéfendeur
ainsiqueM.BoukhilisontdevenusactionnairesdeNewTechAdvancedMaterials
parlebiaisdeladitecession.Malheureusement,leurrelationd’affairesaprisfin
prématurément,cequiaultimementpousséledemandeuràpoursuivrecette
dernièresociétépouravoirviolésesengagementscontractuelsvis-à-viscelui-ci.
3.Lesquestionsenlitige
Danscettedécision,laCours’estattardéeauxquestionssuivantes:
·Lerecoursdudemandeurest-ilprescrit?
·Lasoi-disantinventiondudemandeurexiste-t-ellevraiment?
·LeD
rÉlomaria-t-ilcédélesdroitsqu’ildétenaitdansl’inventionenfaveurde
ladéfenderesse?
·Ladéfenderessea-t-elleadoptéuncomportementfautifvis-à-visle
demandeur?
4
3.1Laprescription
Le24mars1997,ledéfendeurafaitfailliteettoussesbiensontétédévolusàun
syndic,soitDruker&Associés,conformémentàlaLoisurlafailliteetl’insolvabilité
3.
Touscesjoueursontsubséquemmentétélibérés(lefaillile24décembre1997etle
syndicle19mai1998).Selonladéfenderesse,lefaitqueledemandeuraitfait
failliteen1997l’empêched’intenterunrecourscontrelui,cartoussesbiensontété
dévolusausyndicparl’effetdelafailliteetneluiontétéretournésquele28octobre
2003.Enconséquence,ledroitd’actiondudemandeur,ajoute-t-elle,estprescriten
cequeplusdetroisanssesontécoulésdepuisl’événementdonnantnaissanceau
litigeetce,parl’applicationdel’article2925duCodecivilduQuébec
4.Deplus,
affirmeladéfenderesse,lacessioneffectuéeparleditsyndic,le28octobre2003,
n’apaseud’effetrétroactif.
Toutefois,laCourn’apupartagercetteopinion.D’ailleurs,elleaadoptélamême
positionquecelleadoptéeparlejugeRothmandansl’arrêtThompson
5,savoirla
nécessitédefaireunedistinctionentrel’absenced’intérêtetlemanquedecapacité.
LaCourdanscettedernièredécisionétaitd opinionquel’absenced’intérêtne
pouvaitêtrecorrigétandisquelemanquedecapacitépouvaitl’êtreetce,
rétroactivement.End’autrestermes,unefoislalibérationobtenue,lefaillibénéficie
d’unecapacitérelativequipeutsubséquemmentluiêtrerestauréeaumoyend’une
correctionqui,quantàelle,auraituneffetrétroactif.Celadit,laCourenvientàla
conclusionquelerecoursdudemandeurn’estpasprescritetce,pourdeuxraisons:
lefaitqueledemandeurpossédaitl’intérêtjuridiqueexigéparlaLoi
6ainsiquelefait
quelacapacitédudébiteurluiaétérestauréeetce,parl’effetdelacessionde
droitsréalisée,le28octobre2003,parlesyndicdefaillite.
LaCouraffirmeégalementqueladéfenderessenepossèdemêmepaslaqualité
requisepoursouleveruntelargument.D’ailleurs,c’estceprincipequenous
enseignelacauseFoldyc.D’Amico
7,oùilaétédécidéqu’unepersonne,quin’est
pasuncréancierausensdelaBankruptcyAct,nepeutêtreconsidéréecomme
étantunepersonneintéresséeausensdeladiteLoi.
3.2L’existencedel’invention
D’unepart,ladéfenderesseaavancéquelaquestiondel’existenceounond’une
inventiondoitêtreanalyséeentenantcomptedescritèresénumérésàl’article2de
3Loisurlafailliteetl’insolvabilité,L.R.C.(1985),c.A-1.4CodecivilduQuébec,L.Q.1991,c.64.(ci-après«Codecivil»).5Thompsonc.Coulombe,J.E.85-113(C.A.).6Ici,nousparlonsdel’intérêtjuridiquerequisenvertudel’article55duCodedeprocédurecivile.7Foldyc.Amico,(1979)31C.B.R.(N.S.)88(Ont.S.C.).
5
laLoisurlesbrevets8canadienne,savoirlanouveauté,l’utilitéetl’ingéniosité.
D abord,ladéfenderesseaprétenduqu’ellen’avaitjamaisreconnul’existencede
l’inventiondudemandeurcarellenepossédaitpaslacompétencerequiseafinde
cefaire.D’autrepart,ladéfenderesseaaffirméquelefaitqueledemandeurn’ait
jamaisobtenudebrevetpoursoninventionestconcluant.Deplus,cettedernière
avancel’argumentselonlequelledemandeurn’ajamaisréussiàfairebreveterson
inventionparcequ’ellen’existaitpas.
Encequiconcernel’applicationdelaLoi,laCourenestvenueàlaconclusionqu’il
n’étaitpasnécessairedeseprononcersurcettequestion.Quantàlaquestiondes
demandesdebrevets,malgrélesprétentionsdeladéfenderesse,lesfaitsen
l’espècedémontrentquecelle-ciestàblâmerpourlefaitqueledemandeurn’a
jamaisréussiàfairebreveterladiteinvention.Enfait,c’estelle-mêmequiavaitnon
seulementenclenché,maispoursuivileprocessusenvuedel’obtentiondesbrevets
canadiensetaméricains.Plusimportantencore,aprèsledépartdudemandeur,M.
Szereszewskisesentaitparalyséfaceauxmultiplesinterrogationssoulevéesautant
parleBureaudebrevetscanadienqueparleBureauaméricain.L’apportdu
demandeurentantqu’inventeurprincipalétaitimpératifafindefaireavancerles
demandesdebrevetsdéposées.Vul’inactiondelapartdeladéfenderesse,lesdites
demandesontultimementétérejetées.ToutcelaaamenélaCouràconclureà
l’existencedeladiteinvention.
3.3L’existenced’unecession
Ladéfenderesseaprétenduqueledemandeurluiavaitcédéledroitquecelui-ci
détenaitdanssoninvention.Afind’appuyercetteprétention,ellead’abordaffirmé
quel’intentiondudemandeurdeluicédersesdroitsétaitnonseulementmanifeste
dèsledébutdustagedecedernier,maiségalementjusqu’àcequetousles
intéressés,dontledemandeuretladéfenderesse,aientconcluuncontratformelde
cession.Quantaudemandeur,celui-ciainsiquelesco-inventeursdeladite
inventionontprétendu,d’unepart,n’avoirjamaisvudedocumentsquitraitaientde
lacessiondeleursdroitset,d’autrepart,n’avoirjamaiscédélesditsdroitsauprofit
deladéfenderesse.
Aprèsavoiranalysétoutelapreuve,dontdenombreuxdocumentsettémoignages
présentéslorsduprocès,laCouradécidédeprendrelepartidudemandeureta
concluquelesoi-disanttransfertdepropriétéenfaveurdeladéfenderessen’avait
jamaiseulieu.Enfait,ladéfenderesseavaitlefardeaudeprouverlacessiondes
droitsdudemandeurensafaveuretce,parprépondérancedepreuve.Cependant,
ellen’ajamaisétécapabledesedéchargerdecetteobligationetce,pourdiverses
raisons,dontcellesénuméréesci-après.
8Loisurlesbrevets,L.R.C.(1985),c.P-4.(ci-après«laLoi»).
6
D’abord,l’alinéa1del’article2860duCodecivilprévoitqu’unactejuridiquese
prouveparlaproductiondudocumentquileconstateouunecopiequilégalement
entientlieu.D’ailleurs,ceprincipeestreconnusousl’appellation«règledela
meilleurepreuve».Or,iciladéfenderessen’ajamaisétéenmesuredeproduireun
documentconstatantlasoi-disantcession.Certes,ilyalalettredatéedu13août
1996queM.Szereszewskiaenvoyéeaudemandeur,maiscelle-cin’était
aucunementprobante.Enl’occurrence,ilestévidentparlelibellémêmedela
rubriquedeladitelettreintitulée«ProposedUSPatentapplicationS.Élomarietal.
Title»
9,qu’ellen’avaitpascommeobjetunecessiondedroits.Endeuxièmelieu,ce
futl’existencedenombreusescontradictionsdanslesargumentsavancésparla
défenderesse,etnonlefaitqu’ellenepouvaitproduirel’écritconstatantlacession,
quiaultimementamenélaCouràconclurequ’ellenepouvaitajouterfoiauxdits
arguments.
Étudionscertainsexemplesdescontradictionsalléguées:ladéfenderessea
toujoursvivementaffirméqu’elledétenaitdesdroitsdepropriétésurl’inventiondu
demandeurparlebiaisd’unactedecessionconcluen1996.Sitelétaitlecas,
pourquoiétait-ilnécessairedeconclureundeuxièmeactedecession?Unfaitqui
d’ailleursaétéconfirméparletémoignagedeM.Szerzewski.Or,lesinventeurs,
dontparmieuxledemandeur,auraientétéappelésàsignerunnouvelactede
cessionle6avril1998.D’ailleurs,selonletémoignagedeM.Szerzewski:«Ican
seeinninety-eight(98)thatwearenowtrying,meandmygrouparetryingtoattend
tothistransferofrightsfromthefour(4)inventorstotheNationalResearchCouncil
ofCanada»
10.Unautreexempleestlefaitqueladéfenderesseaalléguédanssa
défense,datéedu29janvier1999,détenirdesdroitsdepropriétésurladite
invention,etceconjointementavecleMIT.CeciadoncamenélaCouràse
penchersurlaquestionsuivante:dequelleinventions’agit-ilsi,dansladéfense
quecelle-ciadéposéeenoctobre2003,elleaniésonexistence?
D’ailleurs,lefaitqueladéfenderesseaconfiénonseulementlatâchedela
rédactionduprétenduactedecessionàM.Szerzewskiqui,detouteévidence,
n’étaitpascompétentenlamatière,maisaussilaresponsabilitédevoiràceque
leditactesoitsignépartouslesinventeurs,estincompréhensible.Pourquoinepas
avoirmandatéunconseillerjuridiquequiauraitétéenmesurederédigerunactede
cessionenbonneetdueformeetauraitfaitensortequeletransfertdedroitsde
propriétésoiteffectivementaccompli?
Deplus,le22octobre1997,M.ChouinardaenvoyéunetélécopieàM.Szerzewski
danslaquelleilreconnaîtquelesinventeurssonttoujourspropriétairesde
l’invention,telqu’ilestdémontréparlelibellédudeuxièmeparagraphedeladite
télécopiequiselitcommesuit:
9Supranote3.10Ibid.
7
Theownershipoftheinventionistothefourpersons:SamirÉlomari,
ArvindSundarrajan,MertonFlemmings,andRachidBoukhiliasper
theattacheddocumentwhichwassenttoyoubymailyesterday
11.
[Lesitaliquessontnôtres.]
Plusimportantencoreestlefaitqueladéfenderesseadéposéunedemande
formelledebrevetauprèsdel Officedelapropriétéintellectuelle(ciaprès«l’OPIC»)
enoctobre1997,danslaquelleladéfenderesseasoutenuêtrepropriétairedeladite
inventionenvertudel’applicationdel’article3delaLoisurlesinventionsdes
fonctionnaires
12.LorsqueM.Chouinardaétéquestionnéàcetégard,ilatémoigné
àl’effetd’avoircorrigélademandepuisqu’ilétaitévidentqueledemandeurne
pouvaitsequalifiercommeétantl’employédeladéfenderesse.Toutefois,lapreuve
adémontréquel’erreurn’ajamaisétécorrigéeetquelademandeatoujoursété
poursuivieparl’OPICcommeunedemandeenvertudeladiteLoi.LaCouradonc
étéamenéeàsepenchersurlanécessitéd’unetelledemande.Siladéfenderesse
détenaitdesdroitsdepropriétésurl’inventiondudemandeurenvertud’unactede
cessionconcluentrelespartiesenaoût1996,pourquoia-t-elledéposéune
demandeauprèsdel’OPICdanslaquelleelleprétendaitêtrepropriétaireenvertu
deladiteLoi?
3.4Laresponsabilitécivile
Lerégimedelaresponsabilitécivileextracontractuelleestprévuàl’article1457du
Codecivil.Seloncetarticle,toutêtrehumainaledevoird’agiravecprudenceet
diligencedemanièreànepascauserpréjudiceàautrui.Lorsqu’unepersonneest
accuséedenepasavoirrespectécedevoir,ilincombeàlaCourdedéterminersi
telétaitlecas.Parlelibellémêmedel’article1457duCodecivil,ilestaiséde
conclurequelaresponsabilitéciviled’unepersonnerisqued’êtreengagéeenvertu
decetarticlesilesquatreélémentssuivantssontréunis,àsavoir:i)lafacultéde
saisirlesconséquencesdesesactes,ii)laprésenced’unefautecommiseparcette
personne,iii)lefaitquelafauteaengendréunpréjudice,etiv)unliencausalentre
cesdeuxdernierséléments.Enl’espèce,lapreuvedesditsélémentsdevaitsefaire
parledemandeur,etceparprépondérancedepreuve
13.
3.4.1Lefaitd’êtredouéderaison
SelonnotrerégimederesponsabilitécivileprévudansleCodecivil,unepersonne
nepeutrendrecomped unpréjudicecauséàautruisicelle-cin’apaslafacultéde
11Ibid.12Loisurlesinventionsdesfonctionnaires,L.R.C.(1985),c.P-32.13VoiràceteffetPrud’hommec.Prud’homme,(2002)3R.C.S.663,Houdec.Benoit,(1943)B.R.
713,SociétéRadioCanadac.Sept-îlesInc.,(1994)R.J.Q.1811(C.A).
8
comprendrelesconséquencesquipeuventrésulterdesonadoptiond’un
comportementplutôtqued’unautre.End’autrestermes,elleseraitjugéecomme
étantnonresponsablepoursesgesteset,deplus,n’auraitaucuneobligationde
réparerlepréjudicecauséparceux-ci.
Danscettecause,l existenceounondececritèren’ajamaisétémiseenquestionni
parladéfenderesse,niparletribunal.Ilimportedoncdenepass’attarder,ici,sur
unelongueexplicationdecequecomprendcecritère.
3.4.2Lafaute
LeDictionnairededroitquébécoisetcanadien
14définitleterme«faute»15dela
façonsuivante:
Acteouomissiondontl’auteurestunepersonnedouéede
discernementquiafaitdéfautdeseconformeràuneprescriptionde
laloiouàl’obligationgénéraledesecomporterenpersonne
diligenteetraisonnableàl’égardd’autrui.Ellepeutêtreintentionnelle
ourésulterd’unenégligence,d’uneimprudence,oud’une
maladresse.
16
Ledemandeurprétendqueladéfenderesseestàblâmerpourlarupturedes
relationsd’affairesentrelui,M.BoukhilietNewTechAdvancedMaterials.Le
demandeurplaidequelesagissementsdeladéfenderesse,notammentlefaitde
prétendreêtrepropriétairedel’inventionalorsqu’ellesavaitnedéteniraucundroit
surladiteinvention,luiacausédesdommagesconsidérables,savoirlapertede
sonemploiainsiqueladestructionetlaremiseenquestiondesaréputation.De
plus,ajoute-t-il,ilestàcejourimpossiblepourluidepoursuivreunecarrière
quelconquedansundomainequirelèvedesonexpertise.
Considéronsd abordlapertedel’emploidudemandeurauseindeNewTech
AdvancedMaterials.Enjanvier1999,ladéfenderesseaproduitsadéfenseselon
laquelleellealléguaitêtrepropriétairedel’inventiondudemandeuretce,envertu
d’uncontratdecessionintervenuentrecelui-cietlesautresinventeurs.Ladite
productions’estavéréepréjudiciableauxrelationsentrelespartiesqui,jusqu’àce
moment,étaientharmonieuses.Enfait,c’estuniquementlorsqueNewTech
AdvancedMaterialsadécouvertl’existencedeladitedéfense,etplus
particulièrementlesprétentionsycontenues,quecelle-ciadécidédemettrefin
prématurémentàsesrelationsd’affairesaveclesdeuxinventeurs.Deplus,ilétait
essentielpourquelecontratentreledemandeur,M.BoukhilietNewTechAdvanced
14DictionnairededroitQuébécoisetCanadien,1994,s.v.«faute».15VoirégalementcommentlesauteursJean-LouisBaudouinetPatriceDeslauriersdéfinissentce
termedansleurouvrageintituléLaResponsabilitécivile,6eéd.(Cowansville,Blais,2003).16Supranote16.
9
Materialssoitconclu,quelesinventeursdétiennentlesdroitsdepropriétésur
l’inventionquifaisaitl’objetduditcontrat.Plusprécisément,lefaitpourles
inventeursden’avoirjamaiscédélesdroitsqu’ilsdétenaientétaitunecondition
primordialeàlaconclusionmêmeducontrat.
Danssonplaidoyer,ladéfenderesseaaffirméqueledemandeurétaitunmenteuret
quecederniern’étaitpaslevéritablepropriétairedel’invention.Quantau
demandeur,ilaavancél’argumentselonlequelenl’accusantd’être«manipulateur,
imposteur,etvoleur»
17,ladéfenderesseavaitcommisunefaute.Ledemandeura
affirméquecelle-cisavaitouauraitdûsavoirquellesconséquencesdésastreuses
potentielleslesdiresdecettedernièrepourraientavoirsursaréputation.
3.4.3Lepréjudice
IlaétéétabliparlaCoursuprêmedansl’arrêtPrud’homme
18que«pourétablir
l’existenced’unpréjudice,ledemandeurdoitconvaincrelejugequelespropos
litigieuxsontdiffamatoires»
19.SelonlaCour,lesproposdiffamatoirestenusparleur
auteurdoiventêtreanalysésdefaçonobjective.End’autrestermes,latâchedela
Courseraitdedéterminer«siuncitoyenordinaireestimeraitquelespropostenus
prisdansleurensemble,ontdéconsidérélaréputationd’untiers»
20.LorsquelaCour
déterminequetelétaitlecas,lapartieléséeauraitremplisonfardeauquantàla
preuvedupréjudicesubi.
3.4.4Leliendecausalité
Leliendecausalitéestledernierélémentdontconsistelefardeaudelapreuvedu
demandeur.PourquelaCourpuisseconclureàl’existenced’unliencausalentre
l’actefautifetlepréjudicesubi,ilincombeaudemandeurdefairelapreuvequele
préjudicequ ilasubiestlaconséquencedirecteetimmédiatedel’actefautif
reproché.
Encequiconcernelarupturedesrelationsd’affairesaveclasociétéNewTech
AdvancedMaterials,laCourenestvenueàlaconclusionqueladéfenderessene
pouvaitêtrestigmatiséepourladiterupture.Malgrélefaitquelapreuveapportée
lorsduprocèssemblaitallerdanscettedirection,laCouraaffirméqueseule
NewTechAdvancedMaterialspouvaitêtreblâméepourlaruptureducontrat
puisquec’estcettedernièrequil’avaitrompu.Enfait,lafautecommiseparl’Agence
nepouvaitêtreconsidéréecommeétantlavéritablecausedelarupture.Certes,
17Supranote13.18Prud’hommec.Prud’homme,(2002)3R.C.S.663.19Ibid.20Supranote17.
10
elleavaitcertainementcontribuéàsarésiliationencommettantplusieursfautes.
Malgrétout,lafautequ’elleavaitcommisevis-à-visNewTechAdvancedMaterials
était,selonlaCour,«secondaireetindirecte»
21,enl’occurrenceilyavaitabsence
deliendecausalitéentrelafautequ’elleacommiseetlepréjudicesubiparle
demandeur.
Quantàlaquestiondeladestructiondelaréputationdudemandeur,laCoura
énoncéqueladéfenderessen’apasrespectélesrèglesdedroitélaboréesaux
articles6et7duCodecivil,soitledevoirquis’imposeànoustousd’exercernos
droitsdebonnefoietd’unefaçonraisonnabledemanièreanepasnuireàautrui.
SelonlaCour,«dansl’exerciced’undroitfondamental,celuidecontesterl’action
intentéeparledemandeur,l’Agences’estcomportéedefaçondéraisonnableet
téméraireenfaisantvaloirundroitqu’ellenepossédaitpasvéritablement»
22.
Lefaitpourladéfenderessedansunpremiertempsdeprétendreposséderundroit
dansuneinventionenvertudelaLoisurlesinventionsdesfonctionnaires
23etparla
suitechangerdestratégieetprétendreposséderlemêmedroit,maiscettefois-cien
vertud’unactedecession,aamenélaCouràconclurequecelle-cisavaitdèsmars
1999qu’ellenedétenaitaucundroitsurl’inventiondudemandeur.Plusimportant
encore,laCourénoncequ’unepersonneprudenteetdiligenten’auraitjamais
adoptéuntelcomportement.Unepersonneraisonnableauraitreconnusonerreuret
auraitprislesprécautionsnécessairespourlacorriger.Ilaétédémontréplushaut
qu unefautepouvaitêtrecommiseparactionouparomission.End autrestermes,
unepersonnepeutcommettreunefautesielleagitlorsqu’ellealedevoirdenepas
agir,toutcommesielledécidedenepasagirlorsqu’unteldevoirs’impose.
Enl’espèce,ilimportaitàladéfenderessedemodifierlesallégationscontenues
danssadéfense,afindelesrendreconformesàlaréalité.Cettedernièreavaitle
devoirdenepasnuireàlaréputationdudemandeur,devoirqu’ellen’apas
respecté.Enl’occurrence,laCourétaitdel’opinionquelesagissementsdela
défenderesseontnonseulementcontribuéàlapertedel’emploiqu’occupaitle
demandeur,maisontégalementeupoureffetdedétruiresaréputation.
5.Lesdommagesintérêts
Ensomme,laCouraoctroyélemontantdecinqcentcinquantetroismillecinq
centsdollars(553500$)audemandeur.Pourlesfinsdelaprésentecapsule,nous
allonstraiteruniquementdelaquestiondesdommagespunitifs.Enprincipe,les
dommagesintérêtssontaccordéslorsquelaCourestdel’opinionqueceluiquiles
réclamedoitêtrecompensépourlapertesubie.Enfait,c’estuniquementlorsquela
21Supranote3.22Ibid.23Supranote12.
11
Courconclutqueceluiquiestpoursuiviaadoptéuncomportementsirépréhensible
etdélictueuxqu’elledevraitlepunirenoctroyantdesdommagespunitifs
24.
L’article4delaChartedesdroitsetlibertésdelapersonne
25prévoitque«toute
personneadroitàlasauvegardedesadignité,desonhonneur,etdesa
réputation»
26.Deplus,l’article49deladiteCharteénoncelapossibilitépourla
victimedesevoiroctroyerdesdommagesintérêts.Pourqu’unepersonnepuisse
espérerobtenirréparationpourlepréjudicemoraletmatérielquidécoulentd’une
atteinteportéeàundesesdroitsgarantisparladiteCharte,plusieurséléments
doiventêtreréunis,cequiultimementapoureffetd’accroîtrelefardeaudu
demandeurencequel’existenced’unefaute,préjudiceetliendecausalitédoivent
égalementêtreprouvés
27,lesquelspeuventserésumerainsi:
1)ilfautquelapersonnedequionréclamelesdommagesaitporté
atteinteàundesdroitsvisésauxarticles1à9delaCharte;
2)ilfautquel’atteintenesoitpasjustifiéeparl’article9.1delaCharte;
3)ilfautquel’atteintesoitillicite;
4)ilfautquel’atteintesoitintentionnelle.
Encequiconcernelepremierélément,iln’yaaucundouteiciqueladignité,
l’honneur,etlaréputationdudemandeurontétédétruitesparladéfenderesse.
Quantaudeuxièmeélément,ilestclairquel’atteinteauxdroitsdudemandeurne
peutsejustifierparl’applicationdel’article9.1.Lecomportementadoptéparla
défenderesseétaitabusifetcontraireauxbonnesmœurs.Parcela,nouspouvons
conclure(commel’afaitlajugeGrenierdanscettecause)quel’atteinteauxdroits
dudemandeurétaitenfaitillicite.Cecinousamèneànousinterrogersurl’existence
duquatrièmecritère,soitl’intentiondel’atteinte.
L’analyseducaractèreintentionneldel’atteintecomportedeuxvolets,lepremier
étantorientéverslacompréhensiondesactesposésparl’auteurdelaviolation.Il
s’agiticidedéterminersilesconséquencesdesditsactesontétévoulues.Le
deuxièmeexigequ’onévaluelecomportementdel’auteurdel’atteinteetlecompare
avecceluid’unepersonneraisonnableplacéedanslamêmesituationquecelui-ci,
afindevoirsielleauraitétécapabledeprévoir«l’extrêmeprobabilité»
28des
conséquencesfâcheusesquesubiralavictimesuiteàsesactes.D’ailleurs,la
victimealefardeaudedémontrerquel’auteurdel’atteinteestaniméparun«désir,
unevolonté,decauserlesconséquencesdesaconduitefautive»
29ou,encore,qu’il
24Voiràcetégardladécision,Hillc.ÉglisedescientologiedeToronto,[1995]2R.C.S.1130.25Chartedesdroitsetlibertésdelapersonne,L.R.Q.,c.C-12.(ci-aprèsCharte).26Ibid.27VoiràceteffetAubryc.ÉditionsVice-VersaInc.,[1998]1R.C.S.591,613.28Commissiondesdroitsdelapersonneetdroitsdelajeunessec.Genest,[1997]R.J.Q.1488,
1503(T.D.P.Q.):infirmépourd’autresmotifs:Genestc.Commissiondesdroitsdelapersonneet
desdroitsdelajeunesse,D.T.E.2001-99(C.A.).
29CurateurpublicduQuébecc.Syndicatnationaldesemployésdel’HôpitalSt.Ferdinand,[1996]2
R.C.S.345,409et410.
12
aagi«entouteconnaissancedesrépercussions,immédiatesetnaturelles,ouau
moinsextrêmementprobables»
30quipourraientseproduire.
Ici,iln’yaaucundoutequel’atteinteauxdroitsdudemandeurétaitintentionnelle.
Enfait,ladéfenderesseatoujoursagidefaçonmaligneetvenimeuseàl’égarddu
demandeur.Deparsesactesetgestes,elleaintensifiénonseulementlepréjudice
subiparledemandeur,ladéconsidérationdesaréputation,sonangoissemorale,
maiségalementsonsentimentdedéshonneur.
6.Conclusion
L unedeschosesquetoutêtrehumainvaloriseleplusestl’imagequ’onsefaitde
lui.Ceprincipeestd’ailleursreflétéparlaréputation,bonneoumauvaise,dontpeut
bénéficieruntelhumainauseindesacommunauté.Ilressortdecettedécisionune
tendancedescoursd’unepartdepréserverlanormeselonlaquelle«Thelaw
recognizesineverymanarighttohavetheestimationinwhichhestandsinthe
opinionofothersunaffectedbyfalsestatementstohisdiscredits»
31et,d’autrepart,
d’indemniser-etmêmepunir-quiconquemenacel’existencemêmedeceprincipe.
30Ibid.31Supranote2.
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