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Nouvelle technologie : Que faut-il faire aujourd’hui pour éviter de se mordre les doigts demain?

Nouvelle technologie : que faut-il faire aujourd’hui pour éviter de se mordre les doigts demain?

Dominique Pomerleau [1] et Julien Fleurance [2]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

Pour survivre à une période de revers économique, les entreprises n’ont d’autre choix que de se réinventer pour s’adapter aux changements de marché, pour se distinguer de leurs compétiteurs et ainsi mieux tirer profit de la reprise, lorsqu’elle sera amorcée. Puisque l’une des meilleures manières de se réinventer consiste à innover, nombreuses sont les entreprises qui choisissent d’investir dans l’innovation technologique. 

Avec des ressources financières parfois limitées, il peut être tentant d’économiser sur les frais de protection juridique et d’exploiter ou de commercialiser une nouvelle technologie sans la protéger au préalable. Toutefois, afin d’éviter de regretter ultérieurement ce choix contextuel, il est essentiel de prendre une décision éclairée.

Devant une nouvelle technologie, quatre stratégies sont possibles: la divulgation publique, la publication défensive, le secret industriel et la protection par voie de brevet. Chacune de ces stratégies présente des avantages, des inconvénients et, bien entendu, des coûts

I. Divulgation publique

Entamer la vente ou l’utilisation d’une nouvelle technologie publiquement, sans protection préalable, est une première option qui s’offre à une entreprise ayant développé une innovation. À court terme, cette stratégie peut sembler la plus efficace car elle n’occasionne aucun frais et peut être mise en œuvre sans délai. Toutefois, si l’innovation technologique est porteuse, un compétiteur risque de la copier sans tarder et l’entreprise ne pourra alors plus que s’en mordre les doigts. Elle devra poursuivre un marathon pour continuellement innover et chercher à maintenir son avance sur ses compétiteurs sans pour autant pouvoir bénéficier de manière exclusive des fruits de ses avancées technologiques. Une telle situation perdurera pendant une période de temps conséquente car l’innovation sera tombée dans le domaine public dès sa divulgation.

Il est même possible qu’un compétiteur mal intentionné ou ayant développé indépendamment une innovation équivalente tente de faire breveter une invention similaire. S’il n’existe aucune publication écrite et datée décrivant l’innovation de l’entreprise, il peut être ardu d’empêcher la délivrance d’un brevet à ce compétiteur. Ainsi, au moins temporairement, la liberté d’exploitation par l’entreprise de sa nouvelle technologie pourrait être limitée et des frais pourraient devoir être encourus pour empêcher le compétiteur d’obtenir un brevet pour une invention similaire.

II. Publication défensive

La publication défensive peut être une option plus prudente que la simple divulgation publique de la technologie. Cette stratégie consiste à rendre publique la nouvelle technologie dans un document publié et daté. Cette publication pourra ainsi être relevée par un examinateur ou citée dans une protestation à l’encontre de l’octroi d’un brevet pour une demande de brevet déposée par un tiers, de manière à empêcher un compétiteur d’obtenir une protection pour une technologie similaire.

Cette stratégie est à considérer en particulier lorsque la technologie incluant l’innovation est vendue sans être accompagnée d’une publication écrite. En effet, bien qu’une vente constitue une divulgation publique, celle-ci peut difficilement être utilisée pour s’opposer à l’octroi d’un brevet pour une demande de brevet déposée par un tiers, puisqu’elle ne constitue pas une publication écrite et datée, acceptée par les bureaux des brevets lors de la procédure d’examen. Pour invalider le brevet ultérieur en utilisant la vente de la technologie comme art antérieur, des recours devant les tribunaux devront être intentés, ce qui implique des dépenses relativement élevées pour l’entreprise. 

Les publications défensives peuvent également être envisagées pour des technologies ayant une courte durée de vie, pour lesquelles les critères de brevetabilité pourraient difficilement être rencontrés, ou encore pour lesquelles le brevet obtenu aurait une portée limitée et serait donc facilement contournable par un concurrent.

À noter que certaines juridictions, telles que le Canada et les États-Unis, accordent un délai de grâce après la première divulgation publique de l’invention pour déposer une demande de brevet valide. Ainsi, dans certains pays, il est possible de changer de stratégie de protection dans les mois suivants une première divulgation publique et de chercher à obtenir un brevet, bien que l’innovation ait initialement fait l’objet d’une divulgation publique ou d’une publication défensive.

De plus, bien que ce ne soit pas indispensable, il est fortement recommandé de réaliser la publication défensive sous la forme d’une demande de brevet informelle ou incomplète afin qu’elle soit facilement repérable par un examinateur du Bureau des brevets dans ses recherches de l’art antérieur pour l’évaluation de la brevetabilité d’inventions connexes.

III. Secret industriel

À la manière de Coca-Cola protégeant la recette de sa boisson gazeuse, le secret industriel, qui peut concerner un savoir-faire, une information ou même un équipement, consiste à ne pas rendre publiques les informations relatives à la technologie développée.

Le secret industriel est particulièrement approprié pour une technologie ne devant pas être mise sur le marché directement lors de son exploitation, par exemple dans le cas d’un procédé de fabrication pouvant être utilisé de manière confidentielle à l’intérieur des bâtiments d’une entreprise, d’un savoir-faire mis en œuvre auprès de clients soumis à des obligations de confidentialité ou encore d’une technologie qui ne peut pas être déterminée par ingénierie inverse.

En revanche, le secret industriel ne constitue pas un moyen de s’opposer à l’exploitation d’une technologie similaire ou identique par un tiers, ni à la délivrance d’un brevet à un tiers. Ainsi, une tierce partie pourrait développer, de manière indépendante, une technologie similaire ou identique et déposer une demande de brevet pour la protéger, et par suite limiter, au moins partiellement, votre liberté d’exploitation de celle-ci. Un tel risque est particulièrement important dans les domaines où les avancées technologiques sont rapides et les acteurs nombreux.

IV. Protection par brevet

Un brevet d’invention constitue une exception aux principes de liberté de commerce en accordant à son propriétaire un droit exclusif limité dans le temps durant lequel l’invention ne peut être fabriquée, vendue, utilisée ou importée sans l’accord de celui-ci, sur un territoire donné. En général, ce droit exclusif, qui peut être obtenu dans une majorité de domaines technologiques, ne peut aller au-delà de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet. Durant cette période, le propriétaire peut exploiter son invention et/ou concéder une licence de son brevet et ainsi faire fructifier l’investissement de temps et d’argent qu’il a consacré à son développement.

Pour être brevetable, certains critères doivent cependant être respectés: l’invention doit être nouvelle, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, et inventive, signifiant qu’elle doit être davantage qu’une simple modification évidente qui aurait facilement pu être faite par une personne œuvrant dans le domaine concerné.

Tout brevet résulte d’une demande de brevet qui doit décrire l’invention de manière suffisante pour permette au public de la comprendre, de la reproduire et d’en bénéficier librement une fois le droit exclusif expiré. Afin qu’un brevet soit délivré, la demande doit également faire l’objet d’une étude par un examinateur du bureau des brevets du territoire concerné afin de s’assurer de la nouveauté et de l’inventivité de l’invention et de négocier la portée de protection du brevet. Ainsi, étant donné que le dépôt d’une demande de brevet rend publique la technologie que l’on cherche à protéger, il est généralement recommandé de se faire accompagner par un spécialiste en propriété intellectuelle, de manière à ce que la protection obtenue soit aussi large que possible et ne soit pas limitée au savoir-faire ou à l’équipement commercialisé.

Finalement, la valeur économique d’un brevet dépend également de la faciliter à identifier les contrefaçons possibles. Par exemple, il peut être difficile de déterminer s’il y a une contrefaçon du brevet si la technologie brevetée consiste en un procédé mis en œuvre dans une usine à l’accès limité.

V. Avantages et inconvénients des différentes stratégies

VI. Conclusion

Pour toute nouvelle technologie, il est important de réfléchir à sa stratégie de commercialisation et de protection aussitôt que possible pour éviter toute divulgation non-réfléchie qui pourrait éventuellement avoir des conséquences regrettables. Le choix stratégique dépend à la fois de critères intrinsèques à l’innovation, tels que la possibilité pour un tiers de reproduire l’innovation en examinant le produit commercialisé, et de critères extrinsèques, tels que l’étendue des différences de l’innovation avec les technologies existantes, le budget disponible ou encore la durée du cycle de vie de la technologie.

En outre, quelle que soit la stratégie retenue, celle-ci peut être mise en place en complémentarité à la protection d’aspects non techniques de l’innovation, par exemple au moyen de l’enregistrement d’une marque de commerce ou d’un dessin industriel, pour protéger les aspects visuels. Une telle stratégie globale permet de contribuer au renforcement de la position concurrentielle de l’entreprise. 


© CIPS, 2020.

[1] Dominique Pomerleau est avocate, ingénieure, agente de brevets et associée chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.

[2] Julien Fleurance est agent de brevets et spécialiste en droits des brevets européens chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.