Publications Retour au bulletin

Les péripéties de l’affaire Drouin ou comment de riches œuvres d’intérêt national se sont trouvées au cœur d’un litige complexe en matière de propriété intellectuelle

Les péripéties de l’affaire Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin

Irina Boldeanu [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

Qui n’eût pas déjà songé à ses origines ainsi qu’à la richesse du patrimoine légué par ses ancêtres? Heureusement pour ceux ayant des racines québécoises, les œuvres mélancoliques d’Émile Nelligan de même que les mélodies dignes de rêverie de Félix Leclerc ne constituent qu’une infirme partie des traces de l’histoire. En effet, l’Institut généalogique Drouin, institué en 1913[2] par l’avocat Joseph Drouin, se compose de quelque milliers de généalogies familiales et de dossiers généalogiques afférents, de même que de millions d’autres documents, telles des fiches de mariages et d’actes d’état civil. Les droits de propriété intellectuelle sur ces riches œuvres d’intérêt national se trouvent au cœur du litige complexe de Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin[3], ce dernier ayant pris les tournants d’une véritable saga judiciaire au cours des quatre dernières années.

  1. Mise en contexte

Pour une brève mise en situation, Joseph Drouin (1875-1937) s’intéressa de manière fervente à la généalogie au début des années 1900. Joint par son fils Gabriel Drouin (1913-1980) en 1934, ils poursuivent l’entreprise familiale qui sera désormais connue sous le nom d’ « Institut généalogique Drouin » en 1937. Une vaste multitude de connaissances sont acquises à cette occasion, Gabriel Drouin remontant même la filière française des familles canadiennes en identifiant, entre autres, le lieu d’origine en France des colons. En juillet 1953, Gabriel épouse Jeanne Côté, fille d’Hyacinthe Côté, célèbre et prospère homme d’affaires. Ils adoptent ensemble quatre enfants, dont Bertran Mark, qui est le demandeur dans la présente affaire. Quelques années plus tard, en 1963, le mis en cause Claude Drouin se joint à l’Institut généalogique Drouin à titre de directeur des comptes à recevoir.

Vers la fin de 1979, la santé de Gabriel Drouin se détériore considérablement. Au cours de son l’hospitalisation, la compagnie 97285 Canada inc. est constituée en vue des transactions effectuées par la fille de Gabriel, Dominique Drouin Blouin, à titre de son procureur et mandataire substitué. Par le fait même, l’Institut généalogique Drouin est dissous et une majeure partie des actifs sont transférés à la compagnie 97285 Canada inc., qui sera désormais connue sous le nom de l’« Institut Généalogique Drouin Inc. ». Gabriel Drouin s’éteint le 30 septembre 1980, environ un mois après avoir ratifié et confirmé les actes décrits ci-haut. La situation financière de la société ne réussit guère à s’améliorer et celle-ci fait faillite en août 1987. Ses actifs sont subséquemment acquis aux enchères par Raymond Drouin pour la somme de 110 000 $, soit deux lots comprenant : 1) les livres, les microfilms, la marque de commerce, le numéro de téléphone et 2) les accessoires et mobilier de bureau. Un an plus tard, Raymond Drouin cède ses actifs à une nouvelle société : « Institut généalogique Drouin (1987) inc. ».

En mai 1998, Jean-Pierre Pépin, passionné d’histoire et de généalogie, fait l’acquisition de l’Institut généalogique Drouin (1987) inc. (aujourd’hui opérée dans 9179-3588 Québec inc.). À cette occasion, le contrat de vente prévoyait que les droits relatifs aux généalogies familiales produites par Gabriel Drouin faisaient partie de la transaction, hormis les droits afférents qui ne lui sont pas cédés, étant donné leur vente préalable par Claude Drouin à une société aux États-Unis. Maintenant, la Succession de Feue Jeanne Côté-Drouin réclame qu’elle soit la véritable titulaire des droits d’auteur sur les collections du Fonds Drouin, se basant notamment sur l’absence alléguée d’une cession explicite des droits d’auteur par Gabriel Drouin, la rétrocession de ces droits par le biais de la faillite de 1987 en vertu de l’article 83 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[4] et la réversibilité du droit d’auteur survenue 25 ans après la mort de Gabriel Drouin, effective le 30 septembre 2005, grâce à l’article 14(1) de la Loi sur le droit d’auteur (ci-après « LDA »)[5].

Un premier jugement a été rendu le 10 janvier 2017[6], accueillant une demande de scission d’instance qui a eu pour effet de remettre le débat sur les droits d’auteurs, ainsi que sur la responsabilité des défendeurs quant aux dommages réclamés, incluant les dommages punitifs et les honoraires extrajudiciaires, le cas échéant, au 13 mars 2019[7]. C’est à cette occasion que le Tribunal a conclu à la rétrocession des droits d’auteur reconnus sur 1500 généalogies familiales produites par Gabriel Drouin, de même que sur le Dictionnaire National des Canadiens Français (tome 3), à la Succession. Par la suite, les questions relatives à la quantification des dommages et à la restitution d’actifs ont été entendues le 13 mars 2019. Ce dernier jugement[8] fait l’objet du présent article.

  1. Enjeux.

Plusieurs œuvres subséquemment distribuées par 9179-3588 Québec inc. ont été jugées contrefaites. Il en découle, par l’application de la LDA, que le titulaire du droit d’auteur peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir entre le recouvrement de soit des dommages-intérêts et des profits résultant de la violation du droit d’auteur par le défendeur, soit les dommages-intérêts préétablis par la LDA. Ces deux options sont cependant mutuellement exclusives. Ainsi, Bertran Mark Drouin, en tant que le demandeur es qualité de liquidateur à la succession de Feue Jeanne Côté-Drouin pouvait-il se prévaloir des dommages préétablis?

Eu égard aux contrefaçons, le fondement de ces principes se trouve à être la punition de la violation des droits d’auteur, et non la compensation des dommages subis. Ainsi, même si le contrefacteur n’a tiré aucun profit de ses actes, l’octroi des dommages-intérêts est permissible et le titulaire du droit d’auteur n’a pas le fardeau de prouver qu’il a subi de dommage. D’une autre part, les dommages préétablis sont disponibles dans l’esprit de parvenir à une solution équitable considérant toutes les circonstances de la cause. Lors de l’acquisition de l’Institut Généalogique Drouin (1987) inc. par Jean-Pierre Pépin, les dispositions du contrat de vente l’ont mené à croire au bien-fondé de son acquisition des droits d’auteur. Le Tribunal parvient à la conclusion que le défendeur était réellement de bonne foi, quoiqu’ignorant quant à l’effet de la faillite de l’Institut Généalogique Drouin (97285 Canada Inc.) sur ses droits. De plus, le Tribunal se dit convaincu que les défendeurs ont agi de bonne foi lors de la diffusion numérisée du Dictionnaire National des Canadiens Français, ce qui a mené le tribunal à réduire le quantum des dommages-intérêts.

Il est intéressant de noter que le calcul des dommages statutaires doit se faire par œuvre. L’octroi de dommages statutaires devient plus avantageux pour le demandeur lorsqu’il est question d’un grand nombre d’œuvres ayant été l’objet de contrefaçon, par opposition à une seule œuvre ayant été reproduite maintes fois. C’est ainsi que le Tribunal fixe les dommages préétablis à la somme globale de 200$ pour la question de contrefaçon concernant le Dictionnaire National des Canadiens Français, et à la somme globale de 31 025$ pour 800 généalogies familiales de Gabriel Drouin.

Similairement, grâce à la conclusion tirée par le Tribunal concernant la bonne foi du défendeur au sujet de l’évaluation des dommages préétablis, ce dernier réitère que la violation des œuvres ne constituait pas une atteinte intentionnelle, délibérée et malicieuse aux droits des demandeurs, mais plus simplement le résultat désolant de l’ignorance quant aux effets de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. De ce fait, aucun dommage punitif ne peut être accordé.

Finalement, la Succession requiert la destruction des exemplaires contrefaits, si cela peut être ordonné[9]. En l’espèce, Jean-Pierre Pépin a offert à la Succession de récupérer en bloc l’ensemble des copies invendues des généalogies familiales pour un prix modique. Cependant, après avoir obtenu l’assurance que les œuvres originales se trouvaient bien à la BAnQ, assurant leur survie, Bertran Mark Drouin a choisi la destruction des copies, refusant férocement de payer pour des réalisations produites illégalement.

  1. Demande reconventionnelle.

Jean-Pierre Pépin et 9179-3588 Québec inc. ont de plus introduit une demande reconventionnelle, et estiment avoir droit à obtenir compensation pour troubles et inconvénients, le tout basé sur des allégations d’abus de droit et de mauvaise foi de la part de Bertran Mark Drouin.

Il ne faut pas oublier que Bertran Mark Drouin a réalisé des enregistrements sonores clandestins de Jean-Pierre Pépin lorsqu’il est allé à la résidence de ce dernier environ un mois avant d’introduire le recours en 2014. Jean-Pierre Pépin prétend toujours que cet enregistrement est en violation de ses droits et libertés fondamentales, malgré un Jugement déclarant la légitimité de celui-ci en 2019. Le Tribunal en vient ainsi à la conclusion que le fait pour M. Pépin d’inlassablement blâmer M. Drouin pour l’enregistrement est abusif et que Jean-Pierre Pépin est catégoriquement incapable d’accepter que la Succession ait eu gain de cause sur la rétrocession des droits de la Succession suite à la faillite de 1987. Le Tribunal rejette la demande reconventionnelle et statue que suivant le Jugement en 2019 sur le fond de la cause, le maintien de la présente demande reconventionnelle s’avère « particulièrement infondé, téméraire et malveillant pour se caractériser d’abus de l’exercice [du] droit d’agir en justice [du défendeur] »[10]. Par le fait d’instituer des procédures et un débat inutile du fait de la demande reconventionnelle, la somme de 8 800$ est accordée à M. Drouin pour compenser ses frais extrajudiciaires.

  1. Conclusion

Il ressort de cette décision que la maîtrise de domaines juridiques de compétence fédérale connexes à la propriété intellectuelle, telle la faillite, peut s’avérer particulièrement importante pour protéger ses droits, certes non seulement lorsqu’il est question d’une entreprise commerciale établie depuis plus d’un siècle, mais aussi pour toute entreprise neuve et dynamique faisant affaire au Québec. De plus, il est essentiel de porter une attention particulière aux procédures entreprises lorsqu’elles peuvent s’avérer malveillantes, à défaut de devoir en payer le prix.


© CIPS, 2020.

[1] Irina Boldeanu est stagiaire en droit au Barreau du Québec chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.

[2] Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin, 2019 QCCS 848, par. 12.
[3] 2020 QCCS 1424.
[4] L.R.C. 1985, c. B-3.
[5] L.R.C. 1985, c. C-42.
[6] 2017 QCCS 47.
[7] Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin, préc., note 2.
[8] Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin, préc., note 3.
[9] Id., art. 38(1) et (2).
[10] Drouin (Succession de Côté-Drouin) c. Pépin, préc., note 3, par. 89.