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L’affaire Heritage Handoff Holdings, LLC v. Ronald Fontanella : une représentation du vendeur à 4,4 millions de dollars américains, serait-ce applicable au Québec?

L’affaire Heritage Handoff Holdings, LLC v. Ronald Fontanella : une représentation du vendeur à 4,4 millions de dollars américains, serait-ce applicable au Québec?

Julie Robert [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

L’affaire Heritage Handoff Holdings, LLC v. Ronald Fontanella[2] se passe dans l’état du Delaware aux États-Unis etporte sur une réclamation d’Heritage Handoff Holdings, LLC. (l’ « Acheteur ») pour bris de contact et fraude en vertu de la Securities Exchange Act à la suite de l’acquisition de l’entreprise Rex Forge (« Rex ») pour la somme de 12 millions de dollars américains de Ronald Fontanella (le « Vendeur ») en date du 31 juillet 2015 (« Date de clôture »).

L’Acheteur allègue que le Vendeur a fait de fausses représentations au niveau de ses relations avec ses clients et au niveau de l’état de son équipement.

Dans les mois qui précèdent la Date de clôture, Rex est en difficulté avec ces deux plus grands clients (annulation de contrat, insatisfaction, report de commandes). Ces difficultés sont majeures pour Rex, étant donné que ces deux clients représentent plus de 80% de son chiffre d’affaires.

Le Vendeur n’informe pas l’Acheteur de ces difficultés et fait plutôt des représentations à l’effet qu’aucun de ses 10 plus grands clients n’a, au cours des 12 mois précédents la Date de Clôture, annulé, diminué ou modifié ou, à la connaissance du Vendeur, menacé d’annuler, de diminuer ou de modifier sa relation avec Rex ou a notifié au Vendeur ou à Rex un quelconque litige. Il a également fait des représentations à l’effet que tout litige est mineur et a été ou sera résolu favorablement par Rex.

Le manque de diversité de clientèle de Rex avait été soulevé par l’Acheteur comme un risque potentiel pour Rex. C’est pourquoi il avait insisté pour que la représentation du Vendeur relativement à sa relation avec ses 10 plus grands clients soit une condition fondamentale au contrat.

La Cour en arrive à la conclusion que l’Acheteur a réussi à établir par prépondérance de preuve que le Vendeur a fait de fausses représentations et omis des faits importants concernant les clients de Rex. Pendant la période de vérification diligente, le Vendeur a omis de divulguer les plaintes et les annulations qu’il recevait des clients.

La Cour conclut que le Vendeur a commis une fraude en vertu des lois du Delaware et s’appuie sur ces trois faits pour en tirer cette conclusion:

  1. Il a été mis en évidence que le Vendeur était fortement motivé à éviter une diminution de prix de vente;
  2. Le Vendeur savait que sa perte de clientèle aurait été défavorable à la transaction et qu’il s’agissait d’une condition fondamentale pour l’Acheteur; et
  3. Le Vendeur savait étant donné son expérience que les difficultés avec ses clients était une information importante à divulguer à l’Acheteur et que cela aurait fait diminuer le prix de vente.

La Cour définit les conditions fondamentales comme étant une condition si importante que si elle n’est pas remplie, la transaction échoue[3]. Cette qualification permet également à cette représentation d’être maintenue pour une durée égale à la prescription plutôt que pour une période de 6 mois comme c’est le cas pour les autres représentations en vertu du contrat conclu entre les parties.

Dans l’analyse des relations d’affaires de Rex avec ces clients, la Cour établit qu’il est raisonnable et nécessaire pour l’Acheteur de se fier à ce que le Vendeur lui disait, étant donné qu’il ne pouvait pas s’adresser lui-même aux clients de Rex, étant donné le caractère confidentiel de la transaction.

L’Acheteur n’a pas avec succès prouvé sa réclamation au niveau des représentations du vendeur en ce qui concerne l’équipement de Rex. En effet, la Cour a déterminé que l’Acheteur avait accès à l’équipement et au registre d’entretien de Rex. De plus, l’équipement avait été évalué par l’évaluateur de l’acheteur. Avec les informations à sa disposition, l’Acheteur était à même de s’informer de l’état de l’équipement, ce qui n’était pas le cas pour la relation avec les clients.

Ainsi, pour la fraude en vertu de la Securities Exchange Act et pour bris de contrat du Vendeur, la Cour a octroyé à l’Acheteur la somme de 4,4 millions de dollars américains en dommages-intérêts, portant intérêt au taux de 5 % composés trimestriellement.

Application au Québec

Cette affaire illustre bien l’importance des déclarations et représentations incluses dans un contrat d’acquisition. Leur attribution d’une mention de « fondamentale » vient également teinter l’interprétation de la Cour lorsque le moment est venu d’interpréter les intentions des parties. Au Québec l’attribution d’une mention de « fondamentale » ou d’ « essentielle » est également d’une grande importance.  

En effet, en vertu de l’article 1385 du Code civil du Québec (« CcQ »), le contrat se forme par l’échange de consentement entre les parties contractantes. Le consentement peut être vicié par l’erreur, lorsque celle-ci porte sur un élément essentiel qui a déterminé le consentement en vertu des articles 1399 et 1400 du CcQ. Si l’erreur est provoquée par la fraude d’une autre partie, dans ce cas, le consentement est vicié dans tous les cas où, sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes en vertu de l’article 1401 CcQ.

Au Québec, la partie dont le consentement a été vicié par une erreur provoquée par les fausses représentations de l’autre partie sur un élément essentiel qui a déterminé son consentement peut demander la résiliation du contrat de vente ou une réduction du prix de vente.

À titre d’exemple d’application de ce principe, il est intéressant de lire la cause Kruger Inc. Master Trust c. Gercotech inc. (4335414 Canada Inc.)[4]. Dans ce jugement, la Cour supérieure du Québec a octroyé à un acheteur la somme de 6 395 000 $ à titre de réduction du prix de vente à la suite des fausses représentations des vendeurs relativement à la capacité de production d’électricité de la centrale. Cet aspect était un élément essentiel au courant et avait été utilisé pour calculer le prix de vente. Ce jugement a été confirmé en appel[5].

Conclusion

Il est donc tout aussi important au Québec de porter une attention particulière aux représentations et garanties incluses dans un contrat d’achat/vente et à la qualification de fondamentales ou d’essentielles de celles-ci. Cela pourrait avoir des répercussions financières importantes pour le vendeur ou l’acheteur. 


© CIPS, 2020.

[1] Julie Robert est avocate chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.


[2] IN THE UNITED STATES DISTRICT COURT FOR THE DISTRICT OF DELAWARE, HERITAGE HANDOFF HOLDINGS LLC, Plaintiff, and RONALD FONTANELLA, Defendant, Civil Action No. 1:16-cv-00691-RGA (March 6, 2019) (ci-après le “Jugement”)

[3] “A failure to a “core rep” is so serious that it causes a deal to fall apart.”, page 13 du Jugement

[4] 2017 QCCS 3242 rendu en date du 14 juillet 2017

[5] Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 1168