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Est-ce que la crise du COVID-19 peut être considérée comme un évènement de force majeure

Est-ce que la crise de la COVID-19 peut être considérée comme un évènement de force majeure

Julie Robert [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

Si ce n’est pas déjà le cas, la crise COVID-19 aura inévitablement, au cours des prochaines semaines, un impact sur les opérations courantes de votre entreprise. Plus particulièrement, si ces dernières sont ralenties ou suspendues temporairement.

La crise COVID-19 peut-elle être considérée comme un évènement de force majeure, et donc, venir vous libérer de certaines de vos obligations contractuelles dans un contexte où vous ne pouvez pas vous y conformer?

Quels sont vos droits, obligations et protections dans ce contexte?

Dans cet article, nous survolerons la définition et l’application de la notion de force majeure, ou aussi appelée « cas fortuit » ou encore « act of God », et nous conclurons avec des recommandations et des mesures à prendre pour vous prévaloir de ces dispositions.

Vérifiez ce que prévoient vos contrats

Normalement, la définition et les effets d’un évènement de force majeure sont déterminés dans les dispositions contractuelles propres à chaque contrat. En effet, la notion de « force majeure », n’étant pas d’ordre public, permet aux parties de définir son application à leur entente contractuelle distincte. De cette manière, les parties pourraient, en cas de force majeure, avoir conclu spécifiquement, par exemple :

  • De permettre le report d’échéances;
  • De permettre la suspension ou le report d’obligations;
  • Des formalités afin de pouvoir se prévaloir de ces dispositions, tels des avis, des efforts afin de mettre fin à l’évènement de force majeure, des moyens alternatifs, des clauses temporaires durant l’évènement de force majeure;
  • De permettre à une partie de résilier le contrat visé; et/ou
  • De permettre l’exonération d’une partie en cas de force majeure.

Par exemple, une définition contractuelle typique peut également être prévue comme:

« toute cause ne dépendant pas de la volonté des parties aux présentes, qu’elles n’ont pu raisonnablement avoir prévu et contre laquelle elles n’ont pu se protéger, y compris, sans limitation, tout cas fortuit, épidémie, grève, arrêt partiel ou complet de travail, lock-out, élection, incendie, émeute, intervention par les autorités civiles ou militaires, acquiescement aux règlements ou aux ordonnances de toutes autorités gouvernementales et fait de guerre, déclarés ou non ».

Certaines définitions peuvent avoir prévu spécifiquement « l’épidémie ou la pandémie », mais cela n’est pas nécessaire pour que la crise de la COVID-19, soit considérée un évènement de force majeure.

Il est à noter également que les faits de la nature (inondations, pluie, gel, vent et tempête, vagues, verglas, neige. etc.) et les faits de l’homme (grèves, incendies, vols, guerres, insurrections, embargos, etc.) ne sont pas, en eux-mêmes, des cas de force majeure, mais peuvent le devenir suivant leurs propres circonstances et leur conformité aux critères jurisprudentiels détaillés ci-dessous. Voilà pourquoi ces évènements sont souvent ajoutés contractuellement par les parties, pour en assurer leur inclusion.

Et si vos contrats ne prévoient pas la force majeure?

Lorsque le contrat est silencieux concernant les situations de force majeure. Les parties devront s’en remettre aux dispositions législatives prévues et à la jurisprudence s’y rapportant.

Au Québec, la notion de force majeure est définie à l’article 1470 du Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991 (C.c.Q.) :

Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible ; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

La jurisprudence a pris soin d’analyser les critères nécessaires reconnaissant une situation à titre de force majeure :

Premièrement, l’évènement doit être imprévisible, c’est-à-dire que l’évènement n’était pas prévisible par les parties au moment de l’acceptation du contrat et qu’il n’était pas prévisible par une personne diligente, prudente et avisée. Par conséquent, nous pourrions voir plusieurs situations où le COVID-19 pourra être considéré comme un évènement de force majeure dans l’application d’un contrat conclu en septembre 2019, mais non dans le cas d’un contrat conclu en mars 2020.

Deuxièmement, l’évènement doit être irrésistible. Dans ce cas, toute intervention pour essayer de prévenir l’événement est futile ou inutile. De plus, l’évènement empêche l’exécution de l’obligation d’une manière absolue. Une exécution simplement plus difficile, plus périlleuse ou plus onéreuse pour le débiteur n’est pas considérée « irrésistible ».

Troisièmement, la force majeure ne peut être personnelle au débiteur. Il doit y avoir un caractère général de l’évènement qui rend l’exécution impossible pour tous. Dans un même ordre d’idées, l’évènement ne peut pas être causé par le débiteur ou lui être imputable.

Par ailleurs, l’article 1693 C.c.Q. prévoit la libération de vos obligations lorsque celles-ci ne peuvent être exécutées en raison de la force majeure. 

En Common Law, base du droit des provinces canadiennes autre que le Québec, le concept de force majeure n’est que contractuel. Toutefois la Doctrine of Frustration trouveras généralement application. Cela dit, cette doctrine a été encadrée législativement dans la majorité des provinces canadiennes (autre que le Québec). Par exemple, en Ontario, la Loi sur les contrats inexécutables, L.R.O. 1990, chap. F.34 est applicable et prévoit le dédommagement des parties en cas d’impossibilité de performance d’un contrat. 

COVID-19 : Chaque situation doit être analysée

Une analyse cas par cas devra être effectuée pour déterminer si la crise de la COVID-19 pourra être considérée comme un évènement de force majeure. Il faudra notamment démontrer :

  • que la crise de la COVID-19 a empêché l’exécution de l’obligation contractuelle;
  • que l’inexécution n’est pas imputable à la personne qui l’invoque; et
  • que la crise de la COVID-19 possède les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure ou frustration (Common Law).

Il est important également de rappeler l’obligation générale de « mitiger » ses dommages. La crise de la COVID-19 ne pourra pas exonérer votre responsabilité quant aux dommages causés si vous n’avez pas tenté de minimiser l’importance de vos dommages.

Recommandations

Dans l’intervalle, nos recommandations sont de faire l’exercice de survol de vos contrats pouvant être affectés par la crise de la COVID-19, d’identifier vos obligations, vos défauts et dommages potentiels et les pénalités en jeu, et de s’assurer de remplir les formalités nécessaires pour invoquer ces clauses de force majeure. L’envoi d’avis aux créanciers ou aux partenaires d’affaires pourrait notamment être un geste important pour rendre valide les allègements ou autres effets prévus dans une clause de force majeure.

Une attention particulière devrait être portée aux obligations contractuelles de maintien des opérations courantes envers les créanciers (comme les locateurs) et les institutions financières.

Par ailleurs, une vérification de vos couvertures d’assurance est toujours pertinente dans ce contexte.

Nous vous conseillons également de vous renseignez quant aux mesures de soutien et d’allégement mises en place pour soutenir les entreprises affectées par la crise de la COVID-19 auprès de vos institutions financières ainsi qu’auprès du gouvernement et des entités gouvernementales.

Finalement, dans le futur, il sera important de réexaminer et de porter une attention particulière aux clauses contractuelles de force majeure et aux protections mises en place dans ce type de situation, plus particulièrement pour les contrats en cours de négociation.

N’hésitez pas à contacter Julie Robert (robert@robic.com) ou tout autre professionnel de Robic si vous désirez discuter de ces questions avec nous.


© CIPS, 2020.

[1] Julie Robert est avocate chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.