Publications Retour au bulletin

Cinq décisions d’intérêt en matière de brevets non pharmaceutiques en 2019

Cinq décisions d’intérêt en matière de brevets
non pharmaceutiques en 2019

Cara Parisien [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce

Résumé

Le présent article comporte un résumé de cinq décisions d’intérêt rendues par les cours fédérales en 2019 en matière de brevets non pharmaceutiques. Bien qu’aucun changement majeur n’ait été introduit par les décisions rendues en brevets non pharmaceutiques en 2019, celles qui seront abordées illustrent néanmoins, dans certains cas, l’application de principes connus en jurisprudence canadienne, la résolution de questions relativement nouvelles ou encore l’évolution de règles déjà existantes.

Abstract

This article presents a summary of five decisions of interest made by the federal courts in 2019 related to non-pharmaceutical patents. Although no major changes have been introduced by the decisions rendered in non-pharmaceutical patents in 2019, the following judgments that will be discussed, in certain cases, illustrate nevertheless the application of principles known in Canadian jurisprudence, the resolution of relatively new questions and the evolution of existing rules.

Introduction

Dans cet article, nous traiterons tout d’abord de la décision Aux Sable Liquid Products LP c. JL Energy Transportation Inc.[2], où la Cour fédérale a fait preuve d’une application relativement novatrice des principes relatifs à la portée excessive des revendications. La Cour a aussi examiné la question à savoir si l’entrée en vigueur de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets[3] aurait eu pour effet d’abolir l’exigence qu’un élément d’antériorité soit repéré au moyen d’une recherche raisonnablement diligente pour être opposable lors d’un argument quant à l’évidence d’une invention brevetée. Finalement, le juge Southcott s’est penché sur la question de la pertinence d’un élément d’antériorité lorsque les enseignements qu’il contient sont contradictoires à ceux du brevet en litige.

Nous aborderons ensuite trois décisions rendues par la Cour d’appel fédérale, où deux d’entre elles ont renversé les décisions de première instance. Dans la décision Tearlab Corporation c. I-MED Pharma Inc.[4], la Cour d’appel a notamment confirmé l’approche du juge de première instance qui, dans son analyse, avait mis de côté l’aspect du concept inventif par rapport à l’évidence, privilégiant plutôt une approche fondée sur l’interprétation des revendications et misant sur le langage explicitement utilisé dans ces dernières. Dans l’affaire Tetra Tech EBA Inc. c. Georgetown Rail Equipment Company[5], la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de la façon dont une personne versée dans l’art appliquerait les connaissances générales courantes lors de sa lecture des éléments d’antériorité. De plus, similairement à cette conclusion, dans son arrêt Evolution Technologies Inc. c. Human Care Canada Inc.[6], la Cour a jugé que l’interprétation accordée aux revendications en première instance était raisonnable, mais a toutefois déterminé que cette même interprétation n’était pas reprise correctement en ce qui concerne l’analyse sur les questions de validité et/ou de contrefaçon.

Enfin, la décision Arysta Lifescience North America, LLC c. Agracity Crop & Nutrition Ltd.[7] illustre une des rares occasions où la Cour fédérale a accepté d’émettre une injonction provisoire en matière de brevets. La requérante a réussi à rencontrer le fardeau de preuve élevé requis pour la démonstration du préjudice irréparable, et ce, même si cette dernière ne commercialisait plus son produit dans la forme couverte par les revendications du brevet en cause.

1) Aux Sable Liquid Products LP c. JL Energy Transportation Inc.

Dans cette affaire, il s’agissait d’une action en invalidité intentée par les demanderesses (ci-après « Aux Sable ») à la suite d’une procédure pour violation d’obligations contractuelles entreprise par la défenderesse en Alberta.

Aux Sable alléguait que les dix revendications du brevet étaient invalides pour cause d’évidence, d’insuffisance et d’objet non brevetable. Elle alléguait aussi l’invalidité des revendications 9 et 10 pour cause d’anticipation, de portée excessive et d’absence d’utilité.

En procédant à l’interprétation des revendications, la Cour note d’abord que celles-ci sont claires et sans ambiguïté et, par conséquent, elle privilégie une interprétation fondée sur le langage des revendications. Le juge Southcott a identifié deux éléments essentiels dans les revendications 1 à 8, à savoir : (1) l’ajout intentionnel d’hydrocarbures C2 ou C3 à un gaz naturel et (2) l’assurance que le produit de la masse moléculaire et du facteur de compressibilité (le « produit zMw ») du gaz naturel – après l’ajout des hydrocarbures – soit inférieur au produit zMw avant cet ajout.

Quant aux revendications 9 et 10, le juge avait conclu que celles-ci portaient plutôt sur des compositions de gaz naturels ayant une certaine pression, température et composition chimique. Contrairement aux revendications 1 à 8,  les exigences liées à l’ajout d’hydrocarbures l’effet de cet ajout sur le produit zMw du mélange gazeux étaient absentes.

Un des arguments avancés par Aux Sable était que la portée des revendications 9 et 10 excédait celle de l’invention divulguée dans le brevet en litige. Selon Aux Sable, une personne versée dans l’art comprendrait que l’invention portait sur l’ajout d’hydrocarbures à un gaz naturel dans le but de diminuer l’énergie nécessaire à son transport par gazoduc. En revanche, les revendications 9 et 10 portaient plutôt sur des mélanges de gaz naturels ayant certaines caractéristiques, sans tenir compte de l’ajout d’hydrocarbures ou de son incidence sur le produit zMw. Aux Sable alléguait qu’en l’absence de ces deux éléments pour limiter la portée des revendications 9 et 10, celles-ci excédaient l’invention décrite au brevet et allaient au-delà de ce qui avait réellement été inventé.

Dans son analyse sur l’argument de portée excessive, la Cour s’est fiée aux principes établis par la Cour d’appel fédérale dans Amfac Foods[8], à savoir que l’absence d’un élément essentiel de l’invention dans une revendication rendait cette dernière invalide. Le juge Southcott note toutefois que l’élément essentiel visé par la décision Amfac Foods semblait distinct des éléments essentiels ressortant de l’exercice d’interprétation des revendications (« claims construction »). L’analyse proposée par Amfac Foods n’impliquerait donc pas de classifier des éléments dans les revendications selon leur caractère essentiel ou non essentiel, mais plutôt de déterminer si un élément jugé essentiel était entièrement absent de cesdites revendications.

La défenderesse, pour sa part, a argumenté qu’Aux Sable essayait de réintroduire la doctrine de la promesse sous le couvert d’un argument de portée excessive. La Cour a toutefois rejeté cet argument en notant que ces allégations de portée excessive avaient été plaidées avec succès à plusieurs reprises depuis l’abolition de la doctrine de la promesse dans AstraZeneca[9]. La Cour donne ultimement raison aux demanderesses et déclare les revendications 9 et 10 invalides en raison de leur portée excessive.

Un autre point d’intérêt abordé dans cette décision est celui de savoir si un élément d’art antérieur qui enseigne des principes en contradiction avec des revendications du brevet serait pertinent pour les fins d’un argument d’antériorité. Un des éléments d’antériorité invoqués par Aux Sable était un article scientifique portant sur les hydrocarbures et le transport de gaz naturel par gazoduc. L’article considérait une composition particulière de gaz naturel à diverses températures et pressions, calculant pour chaque combinaison le facteur de compressibilité. La défenderesse argumentait que tout chevauchement entre les compositions décrites dans l’article et les revendications en question était sans importance puisque celles que l’auteur désignait ultimement comme étant économiquement optimales ne faisaient pas partie des combinaisons revendiquées dans le brevet. Elle niait non pas le fait que l’article soit opposable à titre d’élément d’antériorité, mais bien qu’une personne versée dans l’art aurait conclu que ces compositions ne devraient pas être utilisées pour le transport par gazoduc, contrairement à ce que revendiquait le brevet en cause.

Selon la Cour, le fait que les enseignements dans l’élément d’art antérieur soient contradictoires à ceux dans le brevet n’est pas pertinent pour les fins du débat sur l’antériorité des revendications. La Cour s’est d’ailleurs appuyée sur deux décisions soulevées par Aux Sable, soit les décisions Schering-Plough[10] et Merck[11]. Dans la décision Schering-Plough, le juge Snider avait rejeté l’argument selon lequel un élément d’art antérieur qui enseignait à la fois des formulations contrefactrices ainsi que des formulations non-contrefactrices ne serait pas opposable pour les fins d’un argument d’antériorité. Similairement, dans la décision Merck, le juge Hughes avait conclu qu’un brevet antérieur revendiquant l’utilisation d’une composition pharmaceutique et identifiant certaines posologies optimales anticipait le brevet en litige, même si celui-ci portait sur l’utilisation d’une dose inférieure. En vue de cette conclusion, la Cour juge que les revendications 9 et 10 du brevet sont aussi invalides en raison de leur antériorité.

Le dernier point qui sera abordé dans cette décision porte sur l’analyse de la Cour quant au caractère inventif d’une invention brevetée. En l’espèce, les parties ont adopté des positions divergentes par rapport au test applicable pour déterminer si un élément d’antériorité serait opposable dans un tel contexte. Selon Aux Sable, un élément d’antériorité est opposable pour les fins d’un argument d’évidence tant que cet élément ait été publié avant la date de revendication du brevet. Les demanderesses soutenaient que l’opposabilité d’un élément d’antériorité serait soumise aux mêmes critères, tant pour l’analyse du caractère inventif que pour celle de la nouveauté. La défenderesse, pour sa part, était plutôt d’avis qu’un élément d’antériorité serait opposable uniquement si ce dernier aurait pu être repéré au moyen d’une recherche raisonnablement diligente.

Se penchant sur le test applicable, la Cour débute son analyse avec un examen de l’historique législatif de la Loi sur les brevets. Avant la codification du critère de non-évidence du fait de l’entrée en vigueur de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets le 1er octobre 1996, l’applicabilité du test de la recherche raisonnablement diligente a été confirmée à maintes reprises par la jurisprudence. Toutefois, Aux Sable alléguait que ce test avait changé depuis l’entrée en vigueur des amendements à la loi, car cette dernière référait désormais à la divulgation d’information « de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs »[12]. Les deux parties étaient par ailleurs d’accord sur le test applicable au critère de nouveauté, qui n’impose pas une telle limite à l’opposabilité d’un élément d’art antérieur. Ainsi, une partie soulevant l’antériorité d’une invention brevetée peut citer un document publié avant la date pertinente, même si ce document n’a jamais été consulté ou même si son contenu est rédigé dans une langue étrangère nécessitant l’utilisation d’un dictionnaire ou les services d’un interprète[13].

Selon Aux Sable, en tenant compte du test applicable au critère de nouveauté et en se fiant au sens ordinaire du texte de la disposition, qui reprend d’ailleurs une formulation similaire à celle sur l’antériorité, il n’y aurait aucun fondement pour la distinction entre les tests applicables. Pour sa part, la défenderesse a soumis plusieurs décisions rendues par les cours fédérales depuis l’entrée en vigueur des amendements à la Loi sur les brevets qui démontraient, selon elle, que cet argument avait déjà été rejeté tant en première instance qu’en appel.

En passant à travers la jurisprudence soumise par la défenderesse, la Cour note tout d’abord que les décisions de la Cour d’appel confirment plutôt la pertinence de la question et le fait que cette dernière n’ait pas encore été tranchée. Dans ces cas, les parties n’avaient pas soulevé d’arguments quant au bien-fondé du critère de la recherche raisonnablement diligente et, par conséquent, la Cour d’appel n’avait pas eu l’occasion de prendre position sur ce sujet.

S’en remettant ensuite à la jurisprudence de première instance, la Cour a porté une attention particulière à la décision Pollard Banknote[14] :

« […] il ne suffit pas à la personne versée dans l’art qui veut obtenir un brevet valide d’apporter un changement évident à ce qui est connu dans son domaine. Ce principe doit s’appliquer à toute communication rendue accessible au public, même à celles qui ne résulteraient pas d’une recherche diligente. […] Le fait que la référence à l’art antérieur ne soit pas révélée par une recherche diligente peut avoir plus de pertinence lorsque l’allégation d’évidence s’appuie sur deux références dont aucune ne fait partie des connaissances générales courantes. »[15] (Notre soulignement)

La Cour a ultimement accepté l’interprétation de Pollard Banknote proposée par Aux Sable, rejetant ainsi l’application du critère de la recherche raisonnablement diligente dans le but de déterminer si un élément d’art antérieur pourrait être cité dans le contexte d’un argument quant à l’évidence de l’invention brevetée. La Cour a toutefois noté la pertinence potentielle de ce test lors de la quatrième étape de l’analyse d’évidence. En d’autres mots, une partie alléguant que deux éléments d’art antérieur auraient pu être combinés pour en arriver à l’invention brevetée devrait vraisemblablement démontrer que la personne versée dans l’art ayant une de ces références en sa possession aurait trouvé directement et sans difficulté l’autre référence pour en arriver à l’invention en question. Il restera donc à voir comment la question sera traitée les prochaines fois qu’elle sera soulevée et, surtout, si l’abolition du critère de la recherche raisonnablement diligente sera maintenue par la Cour d’appel lorsqu’elle aura l’occasion de statuer sur une semblable situation.

2) Tearlab Corporation c. I-MED Pharma Inc.

Dans cette affaire, l’appelante Tearlab Corporation demande le renversement d’une décision de la Cour fédérale rejetant son action en contrefaçon contre I-MED Pharma. En première instance, la Cour avait conclu que certaines revendications du brevet de Tearlab avaient été contrefaites par la défenderesse, mais que ces revendications étaient invalides pour des motifs d’antériorité et d’évidence. Selon l’appelante, le juge de première instance a commis une erreur dans son application des principes relatifs à l’interprétation téléologique des revendications (« purposive construction ») et, par conséquent, dans sa déclaration d’invalidité.

Les remarques de la Cour d’appel dans cet arrêt reflètent le dilemme éternel auquel sont confrontés les titulaires de brevets, qui doivent équilibrer leurs arguments entre la contrefaçon et la question de validité. Une interprétation large des revendications – qui serait sans doute favorable dans la démonstration de contrefaçon – le serait certainement moins lorsque viendra le moment de distinguer l’invention revendiquée de l’art antérieur. Comme la Cour d’appel le souligne, l’interprétation accordée aux revendications doit être appliquée de la même façon, tant pour l’analyse des arguments d’invalidité et que celle des arguments de contrefaçon.

Le brevet en litige revendiquait un système pour détecter la sécheresse oculaire en mesurant l’osmolarité lacrymale, c’est-à-dire la concentration de certaines particules dissoutes dans les larmes. Un échantillon de larmes est déposé sur une puce comprenant des électrodes qui mesurent les propriétés énergétiques du liquide, telle sa conductivité. Ces propriétés énergétiques sont ensuite interprétées à l’aide d’un dispositif de traitement qui les traduit en termes d’osmolarité. L’osmolarité avait déjà été identifiée comme étant liée à la sécheresse oculaire, mais les techniques de mesure connues à l’époque la rendait peu pratique pour une utilisation à des fins de diagnostics dans un environnement clinique.

La défenderesse, pour sa part, commercialisait un produit servant à mesurer la conductivité dans les fluides de la conjonctive et dans le film lacrymal, pour ensuite déterminer leur osmolarité. L’appareil de la défenderesse employait toutefois un capteur à usage unique appliqué directement sur la surface intérieure de la paupière. Les électrodes envoyaient un courant électrique à travers le capteur et les tissus de la paupière, permettant ainsi de mesurer la conductivité des fluides.

En première instance, la Cour fédérale avait conclu que l’appareil de la défenderesse était en contrefaçon du brevet de Tearlab. Elle a tout d’abord refusé d’accorder une interprétation aux revendications qui permettrait au traitement des données de se faire à partir de la puce directement. La Cour a aussi conclu que l’invention brevetée n’était pas limitée à une application ex vivo, c’est-à-dire à l’extérieur du corps. Bien que ces limites aient pu distinguer les inventions des parties pour les fins de la contrefaçon, c’est ultimement l’absence de ces limites qui avaient mené le juge Manson à conclure que les revendications étaient invalides, car les éléments d’antériorité avancés couvraient tous leurs éléments essentiels.

En appel, Tearlab plaida que le juge de première instance avait commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle une « puce destinée à recevoir des échantillons » ne serait pas nécessairement interprétée par une personne versée dans l’art comme étant une « micropuce » ayant certaines propriétés inhérentes, telles que la rigidité et la planéité. L’appelante argumenta que le concept inventif du brevet était le fait de pouvoir mesurer l’osmolarité indépendamment du volume de fluides échantillonnés, ce qui ne serait possible sans une micropuce ayant ces caractéristiques particulières. Selon l’appelante, l’interprétation de la Cour fédérale faisait abstraction du concept inventif et des principes d’interprétation téléologique.

La Cour d’appel ne fut toutefois pas convaincue par cet argument. Bien que les micropuces furent mentionnées à plusieurs reprises dans le mémoire descriptif, le terme n’avait jamais été utilisé dans les revendications elles-mêmes. De plus, selon la preuve d’expert, rien dans les revendications ne permettait de conclure que la puce aurait nécessairement les caractéristiques de rigidité et planéité, tel qu’allégué par la demanderesse.

La Cour a ultimement conclu que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur en refusant d’ajouter des limites aux revendications qui n’y étaient pas explicitement incluses au départ. S’en remettant aux termes utilisés dans les revendications, tout en se référant au mémoire descriptif lorsque nécessaire, le juge avait interprété les revendications sans toutefois en changer leur portée. Il avait donc, selon la Cour d’appel, correctement appliqué les principes d’interprétation téléologique.

L’appelante alléguait aussi une erreur de la part du juge de première instance dans son refus de tenir compte du concept inventif du brevet qui était, selon elle, la capacité de mesurer l’osmolarité indépendamment du volume de fluides lacrymaux échantillonné. La Cour d’appel a toutefois exprimé son accord avec l’analyse du juge de première instance, qui avait mis de côté cet aspect du concept inventif, favorisant plutôt une approche axée sur l’interprétation des revendications. En survolant les principes jurisprudentiels en rapport avec le concept inventif, la Cour d’appel remarqua que la distinction fut faite entre l’interprétation des revendications et la détermination du concept inventif dans l’arrêt Sanofi[16]. Dans le contexte du brevet de sélection en cause dans Sanofi, le concept inventif identifié englobait des notions plus larges que les compositions pharmaceutiques décrites dans les revendications. Par exemple, la Cour avait tenu compte des propriétés qui rendaient le composé supérieur aux autres parmi la famille des constituants originalement brevetée. La Cour d’appel nota toutefois l’absence de critères clairs permettant de définir le concept inventif en pratique. Elle fit notamment référence à ses propres commentaires dans les arrêts Ciba[17]et Bristol-Myers Squibb[18], préconisant la même approche que celle prise par le juge de première instance en l’espèce.

Ici, le concept inventif tel que proposé par l’appelante n’était mentionné nulle part dans les revendications du brevet. De plus, le concept inventif proposé par Tearlab était présent dans une des revendications dépendantes du brevet. La Cour réitéra la présomption selon laquelle les revendications du brevet sont rédigées de façon à éviter les redondances parmi celles-ci et nota que le fait d’inclure le concept inventif dans la revendication indépendante correspondante aurait eu pour effet de créer une telle redondance. Reprenant les paroles du juge Manson en première instance, la Cour d’appel nota aussi que, en l’absence d’un langage clair à cet effet, l’incorporation du concept dans une réalisation matérielle de l’invention brevetée est insuffisante pour conclure qu’elle était présente dans la revendication. Plus pertinent encore, la Cour réitéra l’importance d’un concept inventif fondé sur les revendications plutôt que d’un concept vague qui serait tiré du mémoire descriptif.

Parmi les autres arguments soulevés en appel, Tearlab a aussi allégué que le juge de première instance avait commis une erreur en omettant de tenir compte des indices secondaires du caractère inventif, tel que le « besoin de longue date » d’un osmomètre adapté à être utilisé dans un contexte de diagnostic clinique ou encore le succès du système Tearlab lors de sa commercialisation.

Cet argument fut toutefois rejeté par la Cour, qui rappela que « le succès commercial d’un produit breveté n’est jamais concluant en soi et n’est clairement pas suffisant pour valider une revendication évidente »[19]. Comme la Cour le fit remarquer, bien que le succès commercial d’un produit puisse être un indice d’ingéniosité, dans la mesure où l’inventeur réussit à combler une lacune sur le marché, elle peut aussi provenir des efforts de marketing et de publicité de la compagnie ou bien d’un autre facteur n’ayant aucun lien avec l’ingéniosité.

La Cour donna également raison aux propos de la partie intimée voulant que tout argument relatif au succès commercial du système TearLab soit inadmissible tant que l’appelante n’aurait pas démontré le lien entre ce système et les revendications du brevet en litige. En outre, en première instance, l’appelante n’avait jamais allégué que le système TearLab était couvert par les revendications du brevet ni soumis de preuves à cet effet. Tout argument relatif au succès commercial du système TearLab était donc futile sans la preuve préalable du lien entre celui-ciet les revendications.

Il convient enfin de noter que l’appelante avait allégué une erreur de la part du juge de première instance qui, en l’espèce, avait omis de déterminer si certains éléments d’antériorité étaient opposables avant d’effectuer son analyse. En d’autres mots, il ne s’était jamais positionné sur la question de savoir si ces éléments auraient pu être identifiés au moyen d’une recherche raisonnablement diligente. Contrairement aux faits dans Aux Sable, aucun argument ne fut avancé par l’intimé quant à l’abolition du critère de la recherche raisonnablement diligente suite aux amendements à la Loi sur les brevets. De plus, la décision de la Cour d’appel dans cette affaire et celle de la Cour fédérale dans Aux Sable ont été rendus à seulement un mois d’intervalle. Il restera donc à voir comment cette question sera tranchée par les tribunaux dans les décisions à venir[20].

3) Evolution Technologies Inc c. Human Care Canada Inc.

Dans cette affaire, l’appelante Evolution Technologies demandait à la Cour de renverser la décision de première instance déclarant que son appareil d’aide à la mobilité était en contrefaçon du brevet de la demanderesse, Human Care. La Cour fédérale avait conclu que tous les éléments essentiels des revendications du brevet de la demanderesse étaient présents dans le déambulateur XPRESSO commercialisé par l’appelante. La Cour fédérale avait aussi rejeté la demande reconventionnelle de celle-ci, qui invoquait l’invalidité du brevet pour cause d’antériorité, d’évidence, de portée excessive des revendications et d’agrégation d’éléments connus et non brevetables.

Les parties fabriquaient toutes deux des appareils d’aide à la mobilité, tels que des déambulateurs. Le brevet dont Human Care était titulaire portait sur un dispositif d’aide au déplacement muni d’un siège rigide et articulé au milieu, permettant de le plier facilement en position de rangement. Human Care commercialisait une série de déambulateurs sous la marque NEXUS, que la Cour avait reconnus comme étant représentatifs de l’invention brevetée.

En première instance, une des questions centrales au litige était l’interprétation des termes « dispositif formant barre de tension», un des éléments jugés essentiels dans les revendications indépendantes du brevet. En pratique, il s’agissait d’une barre de tension rejoignant deux supports sur le déambulateur et servant à distribuer le poids entre ceux-ci. Les parties étaient en désaccord sur la question de savoir si le « dispositif formant barre de tension » devait principalement être assujetti à des charges de traction, c’est-à-dire une charge d’étirement le long de la barre, ou bien si elle pouvait aussi être soumise aux charges transversales qui sont, pour leur part, appliquées de manière perpendiculaire à la barre. L’expert de Evolution Technologies avait témoigné lors du procès que la force transférée à la barre de tension donnait uniquement lieu à une charge de traction. En revanche, l’expert de Human Care avait expliqué qu’une barre de tension, bien qu’elle puisse être soumise aux deux types de charges, serait principalement soumise à des charges de traction.

Lors de son interprétation de cet élément de la revendication, la juge de première instance s’est dite convaincue qu’un déambulateur serait, de manière générale, soumis tant à des forces transversales qu’à des charges de traction, étant donné qu’il pourrait être « confronté à la possibilité distincte qu’il bute contre des murs, des portes, des pierres ou d’autres obstacles en se déplaçant dans des espaces étroits, autour d’objets ou même sur un sol inégal »[21]. Plus loin dans ses motifs, elle confirma toutefois souscrire à l’interprétation avancée par l’expert de Human Care. La conclusion finale de la Cour quant à la violation du brevet est en grande partie fondée sur l’idée que la barre de tension peut être soumise à des forces transversales et de traction, ce qui englobe par conséquent le système apparaissant dans les déambulateurs XPRESSO d’Evolution.

En appel, Evolution allégua que la juge de première instance avait omis de tenir compte de ses propres conclusions quant à l’interprétation des revendications lorsqu’elle a procédé à l’analyse sur la contrefaçon. La juge de première instance avait exprimé sa préférence pour l’approche de l’expert de Human Care, qui avait interprété les revendications de façon plus large et moins littérale, tout en tenant compte du brevet dans son entièreté et de l’interaction des revendications entre elles. L’expert avait expliqué dans son rapport qu’une personne versée dans l’art comprendrait que l’élément du « dispositif formant barre de tension » servait à distribuer le poids entre les deux supports et que l’application de poids aux supports créait ainsi une force de traction dans la barre de tension.  Il n’était pas nécessaire que le dispositif formant barre de tension soit uniquement soumise à des forces de traction mais, selon lui, sa fonction principale était de résister à ce type de charge.

La Cour d’appel reconnut que la juge de première instance avait exprimé sa préférence pour l’interprétation de l’expert de Human Care et elle n’avait aucune raison de croire qu’il en était différent pour l’élément du dispositif formant barre de tension. De ce fait, la juge avait implicitement reconnu que le dispositif formant barre de tension serait soumis principalement à des charges de traction. La Cour d’appel fit remarquer son droit de maintenir cette interprétation implicite si elle était d’accord avec cette dernière. En l’espèce, elle estima que le sens accordé à cet élément par la Cour fédérale était conforme aux principes de l’interprétation téléologique et, par conséquent, elle en maintenu l’interprétation.

À la lumière de cette interprétation, la Cour d’appel conclu toutefois que la juge de première instance avait commis une erreur lors de son analyse quant à la contrefaçon en faisant défaut d’appliquer cette dite interprétation. Le système utilisé dans l’appareil XPRESSO n’était pas assujetti principalement à une charge de traction, car elle faisait autant l’objet de charges transversales. Selon la Cour d’appel, le fait que les pièces correspondantes du déambulateur XPRESSO ne furent pas soumises principalement à des charges de traction signifiait qu’un élément essentiel des revendications était absent de l’appareil. Par conséquent, elle infirma la décision de la Cour fédérale quant à la contrefaçon du brevet de Human Care.

4) Tetra Tech EBA Inc. c. Georgetown Rail Equipment company

Dans cette affaire, l’appelante Tetra Tech demandait à la Cour d’appel de renverser une décision de première instance déclarant valides les brevets de la demanderesse Georgetown Rail et jugeant qu’il y avait eu contrefaçon par Tetra Tech.

Georgetown est titulaire de deux brevets canadiens. Le brevet canadien no 2 572 082 (« brevet ‘082 ») décrit un système et procédé d’examen de voie ferrée, comprenant des lasers, des appareils photo et un transformateur. Un appareil muni de lasers est suspendu sur le wagon de train et émet des faisceaux lumineux à travers la voie ferrée. L’appareil photo capte des images de la voie ferrée, qui sont ensuite formatées par le transformateur de façon à ce qu’elles puissent être analysées. Le système peut aussi comprendre un GPS, permettant de retrouver facilement les sections qui nécessitent des réparations.

Le brevet canadien no 2 766 249 (« brevet ‘249 ») porte plutôt sur un système et procédé permettant d’identifier l’abrasion au niveau de l’appui de rail. L’invention brevetée utilisait les lasers, les appareils photo et les transformateurs d’une manière semblable au système divulgué dans le brevet ‘082. Toutefois, l’invention divulguée dans le brevet ‘249 servait spécifiquement à identifier la présence d’abrasion sur l’appui de rail causé par la friction entre les rails et les traverses. Le transformateur employait un algorithme pour corriger toute inclinaison rencontrée lors de son déplacement au long des voies ferrées.

Tetra Tech, un compétiteur de Georgetown, commercialisait aussi un système servant à l’inspection des voies ferrées, le système 3-D TAS. Le 3-DTAS est fixé au wagon et place deux lasers adjacents à la voie ferrée. En se déplaçant le long de la voie, le système a recours à un algorithme pour analyser les caractéristiques de celle-ci. Les caractéristiques sont affichées sur une carte altimétrique en trois dimensions et un GPS peut être compris pour établir les données de localisation.

Georgetown a intenté des procédures contre Tetra pour contrefaçon de ses deux brevets. Tetra Tech, pour sa part, a nié les allégations de contrefaçon et a présenté une demande reconventionnelle pour obtenir une déclaration d’invalidité des brevets pour absence de caractère inventif. En première instance, la Cour fédérale avait donné raison à Georgetown en prononçant les brevets valides et en concluant qu’il y avait eu contrefaçon puisque le système 3-D TAS comportait tous les éléments essentiels des brevets en cause.

Lors de son interprétation des revendications, la Cour avait adopté la formulation de Tetra en ce qui a trait à la détermination de la personne versée dans l’art. Elle avait conclu que celle-ci comprendrait l’utilisation de la vision industrielle pour inspecter les surfaces, mais qu’une connaissance des chemins de fer n’était toutefois pas nécessaire puisque la vision industrielle pouvait s’appliquer à plusieurs domaines.

Pour ce qui était des connaissances générales de la personne versée dans l’art, le juge de première instance avait encore opté pour la définition soutenue par Tetra et n’avait vu « aucune raison de restreindre l’appréciation des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art au cadre limité des voies ferrées »[22]. Le juge avait souligné que « l’objet principal des brevets ‘082 et ‘249 est l’utilisation d’une vision industrielle pour répondre aux défis bien connus associés à l’inspection des voies ferrées »[23].

Se positionnant ensuite sur la question de validité, le juge de première instance avait conclu que les inventions revendiquées dans les deux brevets de Georgetown n’auraient pas été évidentes à leurs dates de revendication respectives. Après avoir identifié les concepts inventifs, le juge de première instance a adopté la vision de Georgetown en concluant qu’aucun des documents d’art antérieur n’aurait entraîné une personne versée dans l’art à construire un système de vision laser ni pour détecter les selles de rail défoncées – ou l’abrasion de l’appui de rail – ni pour se servir de la série d’étapes ou de calculs précis revendiqués dans les brevets. Georgetown a également soutenu qu’aucun des documents de l’art antérieur invoqué ne traitait de la correction de l’inclinaison ou encore ne se servait d’un « delta réel » entre deux points pour identifier l’abrasion de l’appui de rail.

Selon la Cour fédérale, bien que les techniques de vision industrielle et de triangulation 3-D étaient disponibles et couramment utilisées pour examiner les différences de hauteur et d’autres éléments de diverses surfaces, aucun des documents de l’art antérieur n’identifiait les selles de rail enfoncées ou l’abrasion de l’appui comme problème à résoudre ni ne suggéraient de solutions similaires à celles divulguées dans les brevets ‘082 et ‘249. Par conséquent, le juge de première instance avait jugé les inventions revendiquées non évidentes et avait donc déclaré les brevets valides.

En appel, les questions en litige qui se posaient étaient celles de savoir si la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que les revendications du brevet ‘082 étaient non évidentes – et donc valides – et si elle avait aussi commis une erreur dans son interprétation des revendications du brevet ‘249, menant à la même conclusion quant à leur validité.

En ce qui a trait au brevet ‘082, la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur de droit, car il avait omis de tenir compte de la façon dont une personne versée dans l’art aurait appliqué les connaissances générales aux éléments d’art antérieur. Selon la Cour d’appel, une personne versée dans l’art aurait pu combler l’écart entre les éléments d’art antérieur et l’invention revendiquée uniquement grâce aux connaissances générales courantes.

Dans son analyse des connaissances générales de la personne versée dans l’art, le juge de première instance avait remarqué que les revendications dans les deux brevets en litige étaient fondées sur la vision industrielle et que, par conséquent, une compréhension de l’utilisation de la vision industrielle pour inspecter des surfaces était nécessaire. Reconnaissant que les techniques décrites puissent être appliquées dans différents contextes, la Cour fédérale conclut qu’une connaissance des chemins de fers était donc « accessoire ».

La Cour d’appel expliqua que, selon sa lecture des motifs du juge de première instance, une personne versée dans l’art posséderait « des connaissances suffisantes sur les voies ferrées et les techniques d’inspection des rails pour être en mesure d’appliquer les techniques de la visionique à l’inspection des rails »[24]. Cette conclusion serait, selon la Cour d’appel, conforme aux remarques du juge de première instance selon laquelle l’objectif principal des deux brevets était l’application de la vision industrielle pour résoudre des défis connus en matière d’inspection de voies ferrées, défis dont une personne versée dans l’art aurait certainement connaissance. 

La Cour d’appel fut aussi d’avis que cette conclusion quant aux connaissances accessoires de la personne versée dans l’art en matière d’inspection de voies ferrées s’harmonisait avec le langage du mémoire descriptif, car celui-ci contenait une description détaillée des valeurs pouvant être mesurées par le système revendiqué, y compris les types de défectuosités détectables sur les rails. Par ailleurs, le fait que ces défectuosités soient décrites en termes techniques sans toutefois être définies requerrait d’autant plus que la personne versée dans l’art puisse faire appel à ses connaissances pour comprendre leur sens.

La Cour d’appel a ensuite noté les conclusions du juge de première instance quant aux connaissances générales de la personne versée dans l’art, notamment que celle-ci comprendrait qu’un système de vision industrielle avec certaines caractéristiques pourrait être utilisé pour inspecter les voies ferrées dans le but d’identifier des défectuosités. Selon la Cour d’appel, ce raisonnement sous-entendait forcément que la personne versée dans l’art « possède des connaissances suffisantes des vices de rails énumérés pour être en mesure de comprendre comment un système de visionique s’appliquerait à ces vices et permettrait de les détecter »[25].

La Cour d’appel a toutefois conclu, lors de son analyse sur la question de validité, que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de la façon dont la personne versée dans l’art aurait réagi aux éléments d’antériorité à la lumière de ses connaissances générales. Bien que la Cour fédérale ait fait un examen des différences entre les documents d’art antérieur et les inventions brevetées, elle ne s’était jamais demandé « comment la personne versée dans l’art aurait tenu compte [de l’art antérieur] pour répondre aux problèmes bien connus liés à l’inspection des voies ferrées et comment elle aurait tiré profit des connaissances générales courantes »[26]. Le fait de poser cette question aurait assurément mené la Cour fédérale à conclure que l’écart entre l’art antérieur et l’invention revendiquée serait facilement franchi par une personne versée dans l’art s’appuyant sur les connaissances générales courantes.

Quant au brevet ‘249, la Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’application du facteur de correction d’inclinaison n’était pas un élément essentiel des revendications en cause. Cela étant, la Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour fédérale quant aux revendications 7, 11 et 18 du brevet ‘249, jugeant qu’elles étaient évidentes et donc invalides.

En première instance, Georgetown avait allégué la contrefaçon par Tetra Tech des revendications 7, 11 et 18 du brevet ‘249, portant sur un système et procédé servant à détecter l’abrasion des appuis de rails sur les voies ferrées. Essentiellement, l’appareil mesurait la hauteur du patin de rail et celle de la traverse et calculait la différence entre les deux (le « delta réel »), et ce, pour les rails gauche et droit. Le calcul pour obtenir le delta réel prévoyait aussi un facteur de correction d’inclinaison « FCI », servant à ajuster le résultat pour toute inclinaison qui n’était pas dû à l’abrasion des rails. Tel qu’expliqué dans le mémoire descriptif du brevet ‘249, un wagon de train s’incline d’un côté lorsqu’il rencontre une courbe ou un virage sur la voie. Comme le système est suspendu sur le wagon, ces inclinaisons changent l’angle de la voie ferrée telle qu’elle est vue à travers la lentille de l’appareil photo. Or, sans l’intégration du FCI, le système identifierait ces inclinaisons qui ne sont, dans les faits, aucunement causées par l’abrasion des appuis de rail.

Comme cette correction mathématique est uniquement faite lorsque le phénomène est présent, la Cour fédérale avait conclu que le facteur de correction d’inclinaison n’était pas un élément essentiel des revendications du brevet ‘249, ce qui a joué un rôle important dans sa décision quant à la contrefaçon du système 3-D TAS de Tetra Tech. En outre, la Cour avait interprété l’expression « delta réel » comme étant tout simplement la différence entre deux points. Pour se faire, elle s’était fondée sur l’avis de l’expert de Georgetown par rapport au sens ordinaire du terme « delta réel », ainsi que sur certains paragraphes du mémoire descriptif référant à l’utilisation d’un algorithme ajustant l’inclinaison suivant le déplacement du système de détection le long de la voie ferrée.

En appel, Tetra Tech argumentait que le juge de première instance avait commis une erreur en interprétant le delta réel de cette façon. Elle alléguait que cette interprétation était contraire aux enseignements explicites du brevet ‘249 et que le FCI devait être inclus dans la définition du delta réel. À titre subsidiaire, l’appelante soutenait que, dans la mesure où le delta réel ne requérait pas l’application du FCI, les revendications en cause étaient évidentes.

La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance n’avait pas appliqué les principes d’interprétation téléologique, ni n’avait-il fait référence aux revendications lors de son analyse. Bien que le mémoire descriptif puisse être utilisé pour l’interprétation des revendications lorsqu’il y a présence d’ambiguïté, le langage explicite de celles-ci ne pouvait être négligé. Similairement, la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance s’était fondé sur l’avis de l’expert de Georgetown sans se préoccuper des termes utilisés dans les revendications en question.

Cela étant, la Cour d’appel est ultimement venue à la même conclusion que le juge de première instance, bien que ce soit pour des raisons différentes, quant au caractère non-essentiel du FCI dans l’interprétation du delta réel. La Cour a écarté le raisonnement du juge de première instance selon laquelle le FCI, n’étant uniquement appliqué lorsqu’une inclinaison survenait, ne pouvait être essentiel. Selon la Cour, le brevet ‘249 enseignait clairement qu’une réalisation de l’invention ajustant l’inclinaison permettait de détecter avec plus de précision l’abrasion des rails. 

Procédant à sa propre interprétation des revendications, la Cour d’appel s’était fondée sur un passage du mémoire descriptif et avait conclu que le delta réel était tout simplement la différence entre deux points. La Cour avait soigneusement précisé que cette référence au mémoire descriptif était approprié dans les circonstances, car la preuve démontrait que terme « delta réel » ne serait pas connu par la personne versée dans l’art. De plus, une des revendications dépendantes ajoutait la détermination du FCI comme précision à la revendication indépendante à laquelle elle faisait référence. Comme les revendications sont présumées être rédigées de façon à éviter les redondances, ceci soutient, selon la Cour d’appel, une conclusion selon laquelle le FCI n’était pas un élément essentiel des revendications indépendantes du brevet ‘249.

La Cour d’appel a toutefois conclu qu’à la date de revendication du brevet ‘249, aucune activité inventive n’était requise pour identifier un système ou un procédé servant à identifier l’abrasion au niveau de l’appui de rail en déterminant la différence entre la hauteur du patin de rail et celle de la traverse. La Cour d’appel ne développa pas son raisonnement quant aux erreurs précises du juge de première instance ni n’identifia-t-elle l’étape de l’analyse à laquelle cette erreur a eu lieu. Il semble toutefois y avoir deux possibilités. La première serait que le juge de première instance aurait commis une erreur lors de sa conclusion finale par rapport à l’évidence, bien qu’il n’eût commis aucune erreur lors des autres étapes de son analyse.

Toutefois, comme deuxième possibilité, nous notons aussi que, lors de sa détermination du concept inventif du brevet ‘249, la Cour fédérale avait tenu compte du fait que le système appliquait un FCI au besoin, malgré sa conclusion quant au caractère non essentiel de cet élément. Il est vrai que le débat par rapport au concept inventif est loin d’être réglé par la jurisprudence et que celui-ci peut différer de l’exercice d’interprétation des revendications. Le juge de première instance avait toutefois pris la peine de mentionner les propos de la Cour d’appel dans la décision Ciba Specialty[27], selon laquelle toute incertitude par rapport à la détermination du concept inventif pouvait être évitée en s’en remettant tout simplement à l’interprétation des revendications. Contrairement à la Cour d’appel, le juge de première instance semble avoir tenu compte de l’application d’un FCI dans son analyse par rapport à l’évidence, même s’il avait caractérisé cet élément comme étant non essentiel dans son interprétation des revendications. En revanche, la Cour d’appel s’en est principalement remis au delta réel, tel que défini dans son interprétation des revendications.

Comme Tetra Tech avait allégué l’invalidité de toutes les revendications du brevet ‘249 lors du procès, mais que seulement trois d’entre elles furent en cause lors de l’appel, la Cour renvoya la question de validité des autres revendications du brevet ‘249 au juge de première instance.

5) Arysta Lifescience North America, LLC c. Agracity Crop & Nutrition LTD

La dernière décision qui sera traitée concerne une requête pour l’émission d’une injonction provisoire présentée par les demanderesses Arysta Lifescience North America, LLC et UPL Agrosolutions Canada Inc. (ci-après « Arysta ») dans le contexte de son action en contrefaçon contre AgraCity Crop & Nutrition Ltd. et NewAgco Inc. (ci-après « AgraCity »). Dans leur action, Arysta alléguait que l’herbicide générique de AgraCity était commercialisé en violation du brevet des demanderesses.

Le brevet en cause revendiquait un herbicide à action sélective de flucarbazone-sodium sous forme de poudre ou de granulés dispersables dans l’eau à 70 % en poids, ainsi que son utilisation pour contrôler certains types de mauvaises herbes. En 2002, Arysta avait commencé à commercialiser un produit découlant de son brevet sous la marque EVEREST. À travers les années, la compagnie a remplacé le produit par des versions améliorées, notamment l’EVEREST 2.0 en 2011 et l’EVEREST 3.0 en 2017. Au moment où Arysta intenta ses procédures contre AgraCity, elle s’apprêtait à mettre sur le marché une nouvelle version, sous la marque BATALIUM.

En août 2017, Arysta fut avisée par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) qu’AgraCity avait déposé une demande pour commercialiser un herbicide générique ayant comme ingrédient actif du flucarbazone-sodium. Peu de temps après, cette dernière commença à publiciser son nouveau produit, HIMALAYA, qu’elle décrivait comme étant un herbicide flucarbazone-sodium sous forme de granulés dispersables dans l’eau à 70% en poids.

En février 2018, Arysta avisa AgraCity de son brevet et demanda à cette dernière d’attendre jusqu’à son expiration en septembre 2019 pour lancer son produit. AgraCity répondit en invoquant l’invalidité du brevet d’Arysta pour cause d’évidence et d’antériorité, en incluant dans sa lettre des explications techniques au soutien de ses arguments. En mars 2019, AgraCity reçut son approbation de la part de l’ARLA et procéda au lancement de leur produit sur le marché. Quelques semaines plus tard, Arysta intenta des procédures en contrefaçon contre AgraCity et déposa sa requête visant à obtenir une injonction provisoire.

Lors de la présentation de la requête, Arysta allégua bien évidemment que les critères pour l’émission d’une injonction provisoire étaient satisfaits, notamment l’urgence de la situation, l’existence d’une question sérieuse à être jugée, le risque de préjudice irréparable et la balance des inconvénients qui penchait en sa faveur. En ce qui a trait au critère du préjudice irréparable, Arysta allégua notamment l’existence d’un risque substantiel car les défenderesses ne seraient pas en mesure de payer les dommages-intérêts qui pourraient être ordonnés à l’issue du procès, le cas échéant.

AgraCity a soutenu que le critère de l’urgence n’était pas respecté, car les demanderesses avaient été avisées du projet d’homologation de leur produit et qu’elles avaient tardé dans l’institution de leur procédure. De plus, toujours selon AgraCity, le fait qu’Arysta ne commercialisait plus son produit EVEREST dans la forme couverte par les revendications du brevet ne lui donnerait seulement droit à une redevance raisonnable, le cas échéant, ce qui aurait alors un effet sur sa capacité de payer tout montant qu’elle serait ordonnée de verser à titre de dommages. AgraCity a par ailleurs allégué l’invalidité du brevet en litige.

Avant de débuter son analyse des faits, la Cour fit remarquer que l’émission d’injonctions provisoires et interlocutoires en matière de brevets est relativement rare. Tout d’abord, les droits découlant d’un brevet sont de nature économique et, par conséquent, il est presque toujours possible de quantifier les dommages causés par la contrefaçon. De plus, la Cour souligna le fardeau élevé appartenant à la partie requérante, qui doit établir « une preuve claire, convaincante et non hypothétique » de la survenance de préjudice irréparable si cette contrefaçon est permise pendant la période précédant un procès sur le fond.

En procédant à l’analyse des critères pour l’injonction provisoire, la Cour a tout d’abord jugé qu’Arysta avait rempli son fardeau de preuve quant au critère d’urgence. Le produit d’AgraCity avait été mis sur le marché au moment où les agriculteurs se préparaient pour la pulvérisation de leurs champs. Cette dernière avait par ailleurs réussi à diminuer les prix d’herbicides sur le marché par le passé, lors de son lancement de divers produits génériques. Arysta soutenait que cette commercialisation aurait non seulement un effet sur les profits des ventes du EVEREST 3.0, mais aussi sur son lancement du BATALIUM. Arysta argumentait que le lancement du produit générique lui causerait des dommages incalculables à l’encontre de ses efforts pour lancer son nouveau produit BATALIUM avant l’expiration de son brevet. La Cour reconnut que le lancement du produit générique des défenderesses bouleverserait certainement la valeur marchande de ces types d’herbicides et qu’Arysta, en raison des programmes de fidélité offerts par les défenderesses, aurait des difficultés à récupérer cette clientèle par après.

La Cour a en outre conclu qu’Arysta n’avait pas tardé dans sa demande, même si celle-ci avait appris l’approbation du produit générique de la défenderesse un mois avant d’avoir déposé et signifié ses procédures. La Cour a retenu qu’Arysta n’avait pas la certitude que l’homologation se ferait. Elle rappela que la considération du délai d’agir d’une partie requérante devrait toujours faire l’objet d’une analyse au cas par cas.

Sur le critère de la question sérieuse à être jugée, la Cour a conclu que les allégations de contrefaçon de la demanderesse n’étaient ni frivoles ni vexatoires. Au soutien de son argument quant à la contrefaçon, Arysta avait argumenté que l’approbation du produit HIMALAYA par l’ARLA était justement fondée sur sa bioéquivalence avec l’herbicide EVEREST. De plus, le fait que AgraCity publicisait son produit comme étant un herbicide flucarbazone-sodium sous forme de granulés dispersables dans l’eau à 70% du poids démontrait clairement, selon Arysta, un chevauchement avec l’invention revendiquée dans son brevet.

En ce qui a trait aux arguments des défenderesses quant à l’invalidité du brevet d’Arysta, la Cour a noté que, d’une part, AgraCity n’avait fourni aucune preuve d’expert au soutien de ces arguments et que, d’autre part, elle n’avait pas non plus donné d’explications élaborées quant aux propos techniques soutenant ses arguments contenus dans sa lettre aux demanderesses avant l’institution des procédures.

La Cour s’est ensuite penchée sur le critère du préjudice irréparable. La Cour nota qu’une analyse de la preuve présentée par les parties sur la question du préjudice irréparable doit toujours être évaluée sur la base des faits en l’espèce. Le juge a d’ailleurs remarqué que le rejet de ces types de demandes, lorsqu’elles sont fondées sur l’incapacité de payer du défendeur, était souvent dû aux défaillances dans la preuve, cette dernière étant souvent en possession de la partie défenderesse à ce stade.

Selon Arysta, il y avait un risque substantiel qu’AgraCity serait incapable de payer un montant accordé à titre de dommages à l’issue du procès. Pour sa part, AgraCity a argumenté que, dans le cas où elle serait déclarée responsable, elle n’aurait à payer qu’une redevance raisonnable puisqu’Arysta ne commercialisait plus son produit EVEREST dans la forme revendiquée par le brevet.

Pour rencontrer son fardeau, Arysta a soumis en preuve l’affidavit d’un enquêteur privé qu’elle avait mandaté pour recueillir de l’information publique par rapport à la situation financière des défenderesses. Cette preuve démontrait notamment que les sociétés défenderesses étaient des entreprises familiales, contrôlées par deux frères. AgraCity avait par le passé versé des sommes considérables à une entité affiliée en Barbade et tant les actifs des sociétés défenderesses que celles des frères actionnaires faisaient l’objet de plusieurs sûretés et jugements à leur égard.

Malgré qu’elle eût été avisée de cet argument de la part d’Arysta, qui l’avait incluse dans son avis de requête, AgraCity n’a présenté aucune preuve concernant sa capacité financière, outre un affidavit de la part d’un des frères actionnaires. Par conséquent, la Cour conclut qu’Arysta avait réussi à soulever un doute raisonnable quant à la capacité des défenderesses à payer des dommages éventuels.

AgraCity s’en est plutôt remis à son argument selon lequel tout montant qui serait accordé à titre de dommages prendrait la forme d’une redevance raisonnable, puisqu’Arysta ne commercialisait plus son produit EVEREST dans la forme revendiquée par le brevet. Selon AgraCity, ce montant serait beaucoup moins élevé qu’un montant de dommages substantiels.

Toutefois, la Cour a ultimement conclu qu’Arysta pourrait demander des dommages substantiels même si elle ne commercialisait plus son produit dans la forme couverte par les revendications du brevet en litige. En effet, Arysta plaidait qu’elle avait tout de même sur le marché des produits directement liés à l’invention brevetée qui faisaient concurrence au produit prétendument en contrefaçon des défenderesses. Elle s’est notamment fondée sur les principes édictés dans la décision Gerber[28] de la Cour d’appel du Royaume-Uni, repris par la suite en jurisprudence canadienne, où la Cour avait accordé des dommages non seulement pour les produits brevetés, mais aussi pour ceux qui étaient vendus accessoirement aux produits brevetés. La Cour avait alors conclu que ces dommages étaient directement causés par le tort car, sans la contrefaçon, le titulaire du brevet aurait vendu non seulement les produits brevetés, mais aussi les produits connexes. Ces principes ont d’ailleurs été repris par la Cour d’appel dans la décision Eli Lilly[29].

La Cour conclut que les arguments d’Arysta relatifs à la vente de marchandises directement reliées au produit breveté n’étaient pas forcément applicables en l’espèce, mais elle se fia tout de même aux propos de la Cour d’appel fédérale dans la décision Eli Lilly:

« […] certaines ventes perdues peuvent être réclamées comme des pertes visées par le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets – même s’il s’agit de ventes de produits non contrefaits (l’effet causé par la préparation d’une entrée sur le marché ou par une entrée hâtive sur le marché) ou de composantes de produits non contrefaits –, lorsque la Cour conclut que, dans les faits, ces ventes perdues résultent de ventes de composantes ou de produits contrefaits. »[30]

La Cour admit qu’Arysta pourrait établir lors d’un procès qu’elle aurait droit à des dommages-intérêts substantiels, même si son produit breveté n’était plus sur le marché. La Cour ajouta que, même dans le cas où des dommages de ce type ne seraient pas accordés, Arysta pourrait tout de même réclamer des dommages équivalant à une redevance raisonnable qui, selon les faits, pourrait correspondre à une somme importante. Bien qu’aucune preuve n’ait été soumise quant à un montant approximatif de cette redevance, le juge a conclu que, en vue du marché total pour le produit d’Arysta et en vue des prix et de la différence de profits entre les produits EVEREST 3.0 et HIMALAYA, le montant de cette redevance pourrait être substantiel. À la lumière de la preuve soumise par Arysta concernant la capacité financière des défenderesses, la Cour conclut que le critère du préjudice irréparable était satisfait.

En ce qui a trait au dernier critère, la Cour a conclu que la balance des inconvénients penchait en faveur d’Arysta, qui avait pris un engagement par rapport aux dommages d’AgraCity et qui avait satisfait la Cour quant à sa capacité de les payer. La Cour remarqua en outre que le délai causé au lancement du produit HIMALAYA d’AgraCity n’aurait pas d’effet sur la viabilité de la compagnie, puisque cette dernière avait une gamme d’autres produits sur le marché.


© CIPS, 2020.

[1] Cara Parisien est avocate chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.

[2] 2019 CF 581.

[3] Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4 (ci-après « Loi sur les brevets »).

[4] 2019 CAF 179.

[5] 2019 CAF 203.

[6] 2019 FCA 209.

[7] 2019 CF 530.


[8] Amfac Foods Inc. v. Irving Pulp & Paper Ltd. (1986), 12 CPR (3d) 193 (C.A.F.).

[9] AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36.

[10] Schering-Plough Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2009 CF 1128.

[11] Merck & Co c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510.

[12] Loi sur les brevets, supra, note 2, art. 28.3 ; Aux Sable Liquid Products LP c. JL Energy Transportation Inc., supra, note 1, par. 145.

[13] Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333.

[14] Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp., 2016 CF 883.

[15] Id., par. 194.

[16] Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61.

[17] Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c. SNF Inc., 2017 CAF 225.

[18] Société Bristol-Myers Squibb Canada v. Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76.

[19] Tearlab Corporation c. I-MED Pharma Inc., supra, note 3, par. 68.

[20] Voir notamment la décision Hospira Healthcare Corporation c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30.

[21] Human Care Canada Inc. c. Evolution Technologies Inc., 2018 CF 1302, par. 243.

[22] Georgetown Rail Equipment Company c. Rail Radar Inc., 2018 CF 70, par. 86.

[23] Id.

[24] Tetra Tech EBA Inc. c. Georgetown Rail Equipment Company, supra, note 4, par. 40.

[25] Id., par. 50.

[26] Id., par. 63.

[27] Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc., 2017 CAF 225.[28] Gerber Garment Technology Inc c. Lectra Systems Ltd, [1997] R.P.C. 443.

[29] Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 2018 CAF 217.

[30] Id., par. 114.