ARRÊT DOUEZ C. FACEBOOK : SPONSORED STORIES ET LA NOTION DE CONSENTEMENT

Facebook n’avait pas le consentement de ses utilisateurs pour utiliser leur image et leur nom.
Élisabeth Lesage-Bigras [1]
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
Avocats, agents de brevets et de marques de commerce
Le 2 juin dernier, la Cour suprême de Colombie-Britannique a conclu par voie de jugement sommaire que les membres d’une action collective n’avaient pas consenti à l’usage de leur image et de leur nom dans le cadre des publicités Sponsored Stories de Facebook[2], et ce, contrairement aux lois de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve-et-Labrador en matière de protection de la vie privée (Privacy Act). En bref, les Sponsored Stories permettaient de partager certaines actions des utilisateurs sur la plateforme Facebook. Par exemple, lorsqu’un usager aimait la page de Coke sur Facebook, cette action apparaissait à titre de contenu commandité sur les pages de ses amis[3].
Il faut se rappeler qu’une première série de jugements a déjà été publiée sur cette affaire en 2015[4] et 2017[5] qui a même fait son chemin devant la Cour suprême du Canada. En effet, il était question de déterminer si la clause de juridiction contenue dans les conditions d’utilisation de Facebook pouvait être opposable et donc, si la Cour suprême de Colombie-Britannique était compétente pour statuer dans le cadre cette action collective[6]. À l’époque, la Cour suprême du Canada rejeta les arguments de Facebook et jugea la clause de juridiction non exécutoire[7].
- La Cour suprême de Colombie-Britannique est-elle compétente?
Ici, la principale question de ce litige visait à déterminer si le programme de Sponsored Stories de Facebook contrevenait aux lois en matière de vie privée de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est-à-dire les provinces comprises dans l’action collective[8]. Or, Facebook argumenta que la cour n’était pas compétente pour statuer à la lumière des législations manitobaines et terre-neuviennes[9].
Après analyse, la cour en est venue à la conclusion que, de façon générale, les gouvernements provinciaux « n’ont pas le pouvoir de promulguer des lois qui interdisent aux tribunaux situés au-delà de leurs frontières de trancher des litiges et que les tribunaux ne doivent pas interpréter les lois provinciales comme ayant un tel effet extraterritorial »[10]. Ce faisant, puisque l’argument de non-compétence doit, selon la jurisprudence, se fonder sur une analyse du forum non conveniens et que Facebook ne s’est pas objecté sur cette base, la cour conclut que Facebook n’a pas su prouver qu’elle n’était pas compétente pour statuer en fonction des lois sur la protection de la vie privée manitobaine et terre-neuvienne[11]. En effet, « [u]ne fois la juridiction établie, si le défendeur ne soulève pas d’autres objections, le litige se poursuit devant la juridiction du for. »[12]
- Sponsored Stories et la notion de consentement
Suivant le constat précédent et la conclusion selon laquelle certains aspects de cette cause peuvent être conclus par jugement sommaire, dont la question de consentement[13], la cour procéda à l’évaluation de la preuve portant sur l’obtention par Facebook du consentement, exprès ou implicite, des utilisateurs afin d’utiliser leur nom et leur image dans le cadre des Sponsored Stories. Or, il a été jugé que Facebook ne détenait ni le consentement exprès ni implicite ni même le droit d’utiliser l’image et le nom des utilisateurs à des fins publicitaires[14].
En effet, Facebook, partie détenant le fardeau de preuve selon la cour, n’a pas prouvé que les conditions d’utilisation lui permettaient d’utiliser le nom et l’image des utilisateurs dans le cadre des Sponsored Stories[15]. Facebook n’a pas non plus prouvé qu’il ne donnait pas accès aux noms et images des utilisateurs aux entreprises utilisant le service de Sponsored Stories[16]. De ce fait, les utilisateurs n’ont pas donné un consentement exprès[17].
Par ailleurs, selon la cour, les utilisateurs n’ont pas non plus donné un consentement implicite pour ce type d’utilisations puisque, contrairement à ce que Facebook affirmait, le fait pour un utilisateur « d’aimer » une page en raison d’un intérêt particulier n’implique pas nécessairement qu’il consent ou ne s’oppose pas « à ce que [son] image y soit associée dans le contexte d’une publicité »[18].
Finalement, étant donné l’interdiction des lois provinciales en cause d’employer le nom ou l’image d’une personne à des fins publicitaires, la cour statua que Facebook, par l’entremise de son programme de Sponsored Stories ne pouvait utiliser ces informations[19].
- Que se dégage-t-il de cet arrêt?
Cette cause renforce encore une fois l’importance de conditions d’utilisation claires et de bonnes pratiques en matière de protection de la vie privée, et ce, particulièrement en matière de marketing numérique. Si la protection de renseignements personnels est particulièrement d’actualité ces derniers temps, cet arrêt nous rappelle que la vie privée est beaucoup plus large que les données et implique un certain nombre de concepts autres, tels que le droit à l’image. Notre équipe en protection des renseignements personnels et droit de la publicité et du marketing suivra ainsi les développements de cet arrêt avec attention. Entre temps, si vous avez des questions sur la réglementation entourant les plateformes numériques ou leurs conditions d’utilisation, n’hésitez pas à contacter les membres de nos équipes de protection des renseignements personnels et de droit de la publicité et du marketing.
[1] Élisabeth Lesage-Bigras est avocate chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.
[2] Douez v. Facebook, Inc., 2022 BCSC 914, par. 2, 4 et 5
[3] Id., par. 2, 4, 5 et 70.
[4] Douez v. Facebook, Inc., 2015 BCCA 279 et id., par. 10.
[5] Douez c. Facebook, Inc., 2017 CSC 33 et id.
[6] Id.
[7] Id.
[8] Id., par. 6
[9] Id.
[10] Id., par. 37.
[11] Id., par. 40 et 41.
[12] Id., par. 41.
[13] Id., par. 43, 51 à 56 ; Il a été jugé que les questions en matière de dommages ne pouvaient pas faire l’objet de jugement sommaire.
[14] Id., par. 139.
[15] Id., par. 102 à 104, 110, 113 à 117.
[16] Id.
[17] Id.
[18] Id. par. 126.
[19] Id., par. 128 à 133.