Pourriez-vous être tenu responsable de commercialisation trompeuse en achetant la marque de commerce de votre compétiteur, en tant qu’AdWord dans Google?
Par Geneviève Hallé-Désilets
Oui! Le 26 janvier 2017, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (CACB) a infirmé la décision d’un tribunal de première instance concernant la commercialisation trompeuse et les marques officielles dans le contexte de moteurs de recherche employant des mots-clés publicitaires. La CACB a précisé que l’appréciation du risque de confusion, dans le cadre d’une poursuite en commercialisation trompeuse, s’effectue au moment de la première rencontre de l’internaute avec les résultats de recherche sur Internet, et a réaffirmé que l’achat de la marque de commerce d’un compétiteur en tant que mot-clé pour des publicités sur des moteurs de recherche n’est pas en soi suffisant pour établir la commercialisation trompeuse, sauf s’il y a présence de confusion.
Contexte
Le demandeur, Vancouver Community College, est un établissement d’enseignement postsecondaire public ayant accusé le défendeur, Vancouver Career College, un établissement d’enseignement postsecondaire privé, de commercialisation trompeuse, en raison de son utilisation de la marque officielle du demandeur « VCC » dans ses publicités et son nom de domaine. Le défendeur avait adopté le nom de domaine « VCCollege.ca » pour son site Web et acheté « VCC » en tant que mot-clé pour des publicités sur des moteurs de recherche. Par conséquent, les utilisateurs effectuant une recherche sur Internet en utilisant le mot-clé VCC recevaient un lien commandité vers le site Web du défendeur, affichant le nom de domaine VCCollege.ca. Toutefois, lors de la consultation du site Web, il était clair pour les utilisateurs que le site appartenait au défendeur et non au demandeur..
Dans la décision du tribunal de première instance, le juge avait conclu qu’aucune des trois conditions requises pour démontrer la commercialisation trompeuse (existence d’un achalandage, déception ou confusion du public dues à la représentation trompeuse et dommages) n’avait été remplie. Premièrement, il a jugé que le demandeur ne détenait pas d’achalandage dans l’acronyme « VCC », et qu’une preuve d’achalandage nécessitait que le demandeur démontre que le produit avait acquis un deuxième sens ou qu’il soit distinct. Deuxièmement, le juge a rappelé que la confusion devait être évaluée lors de la première impression, c’est-à-dire après qu’un internaute ait cliqué sur un résultat de recherche pour arriver à une page de destination. Puisqu’il était clair, que le site Web appartenait au défendeur et non au demandeur, le juge a conclu qu’aucune déception dans l’esprit du public n’avait eu lieu. Troisièmement, le juge a estimé qu’il était peu probable que le demandeur ait subi un préjudice causé par le comportement du défendeur. Finalement, la réclamation du demandeur concernant la violation de ses deux marques officielles, VCC et Vancouver Community College, a été rejetée, au motif que le défendeur avait utilisé VCC avant la publication des marques officielles..
La décision de la CACB
En ce qui a trait au critère de l’achalandage, la CACB a déclaré qu’il n’était pas nécessaire, pour que l’action réussisse, que l’acronyme « VCC » ait acquis un deuxième sens, puisque le sens premier de cet acronyme pouvait désigner Vancouver Community College. En d’autres termes, le demandeur devait simplement établir qu’une partie suffisante du marché pertinent savait que « VCC » faisait référence à Vancouver Community College. La CACB a également établi que le juge de première instance avait commis une erreur de fait évidente sur la question de l’achalandage, importante pour l’issue de l’action.
En ce qui concerne le critère de confusion, la CACB a estimé que la première impression de l’internaute est déjà formée lorsqu’il arrive à une page de destination. Plutôt, le risque de confusion devrait être évalué lors du premier contact de l’internaute avec les résultats de recherche Internet. Dans ce cas, le lien commandité du défendeur sur la page des résultats de recherche affichait uniquement le nom de domaine « VCCollege.ca ». Selon la CACB, l’internaute ne pouvait alors distinguer le propriétaire de ce nom de domaine, Vancouver Career College, de Vancouver Community College. Par conséquent, la CACB a conclu que la confusion était pleinement établie par la preuve que le nom de domaine du défendeur était tout aussi descriptif que celui du demandeur et contenait l’acronyme lui étant associé depuis longtemps. Cependant, elle n’a pas conclu que l’achat d’une marque de commerce d’un compétiteur en tant que mot-clé suffisait, à lui seul, pour établir la commercialisation trompeuse. Ce qui importe, c’est la façon dont le défendeur se présente dans le lien commandité apparaissant sur la page des résultats de recherche, à la suite de l’utilisation du mot-clé. Enfin, la CACB a conclu que l’ingérence dans l’achalandage du demandeur était suffisante pour établir un dommage.
La CACB a conclu que le demandeur avait droit à une injonction, la question des dommages et intérêts devant être remise au tribunal de première instance pour évaluation. Quant à la réclamation du demandeur pour violation de ses marques officielles en vertu de la Loi sur les marques de commerce, la CACB a également renvoyé cette question au tribunal de première instance pour examen.
Conclusion
Il est intéressant de noter qu’en 2010, la Cour supérieure du Québec a également jugé que l’achat d’une marque de commerce d’un compétiteur en tant que mot-clé ne suffit pas, à lui seul, à établir une commercialisation trompeuse et une concurrence déloyale. Dans cette affaire, il était clairement indiqué, à côté du lien commandité dans la page des résultats de recherche, que l’entreprise du défendeur constituait une alternative à l’entreprise du demandeur. Selon la Cour, un internaute est libre de décider d’utiliser ou non les informations contenues dans les résultats de recherche, et un annonceur ne peut être tenu responsable d’avoir créé une occasion de trouver de l’information sur un compétiteur. De plus, dans ce cas, aucune preuve de confusion n’avait été établie.
Ces décisions nous enseignent que dans le cadre d’une action en commercialisation trompeuse relative à la publicité par mots-clés, les annonceurs sont libres d’acheter les mots-clés composés des marques de commerce de leurs compétiteurs à des fins publicitaires, sans être tenus responsables, de facto, de commercialisation trompeuse. Cependant, ce faisant, les annonceurs doivent s’assurer que la manière dont les liens commandités sont affichés sur les pages de résultats de recherche ne suscite pas de confusion avec les marques de commerce des compétiteurs.