Le « fair use » américain à l’ère de YouTube
Un récent jugement de la Cour d’appel des États-Unis confirme que le « fair use » doit être considéré avant de demander le retrait d’une vidéo sur Internet.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Le 7 février 2007, Stephanie Lenz publie sur YouTube une vidéo de 29 secondes de son jeune fils se dandinant sur les airs de Let’s Go Crazy du musicien Prince. Au moment de ces faits, Universal Music Corp., Universal Music Publishing inc. et Universal Music Publishing Group (collectivement «Universal») agissaient à titre d’administrateur des droits d’auteur de Prince. Alléguant croire de bonne foi que la vidéo violait les droits d’auteur de Prince, Universal envoie à YouTube un avis de retrait en vertu de la Digital Millenium Copyright Act («DMCA»), suite à quoi YouTube obtempère et supprime la vidéo.
Le 24 juillet 2007, Mme Lenz intente une poursuite contre Universal devant la Cour de district des États-Unis, district Nord de la Californie, en faisant valoir que Universal, en demandant à YouTube de supprimer sa vidéo, avait faussement interprété les dispositions du DMCA. Le juge Fogel lui donne raison et conclut que le DMCA comporte l’obligation de considérer de bonne foi le «fair use» avant de demander la suppression d’une vidéo d’un site Internet. En terminant, le juge rappelle que : « Requiring owners to consider fair use will help “ensure that the efficiency of the Internet will continue to improve and that the variety and quality of services on the Internet will expand” without compromising “the movies, music, software and literary works that are the fruit of American creative genius.” ». Un appel de cette décision fut interjeté.
Le 14 septembre dernier, dans un jugement de la Cour d’appel du neuvième circuit des États-Unis, le juge Tallman donne de nouveau raison à Mme Lenz en estimant que le «fair use» doit être pris en compte avant de demander le retrait d’une vidéo. Sa conclusion fut la suivante: «We conclude that because 17 U.S.C. § 107 created a type of non-infringing use, fair use is “authorized by the law” and a copyright holder must consider the existence of fair use before sending a takedown notification under § 512(c).» La Cour d’appel a également conclu que le préjudice souffert par Mme Lenz lui donnait droit à des dommages, quoique leur nature ainsi que leur montant reste à déterminer.
Qu’est-ce que le «fair use» américain ? Il s’agit d’une exception aux règles générales du droit d’auteur qui prévoit que, dans certains cas, une œuvre protégée peut être utilisée sans la permission du titulaire des droits. Notons qu’au Canada, une notion similaire existe, soit le «fair dealing». Quelques différences existent toutefois entre ces deux exceptions, dont la présence d’une liste de facteurs dans la législation américaine. De plus, le «fair use» a une plus large portée que le «fair dealing».
Au Canada, une exception visant spécifiquement le contenu généré par l’utilisateur a été introduite à la Loi sur le droit d’auteur (ci-après, «LDA») lors de sa plus récente modernisation. Cette exception, communément appelée «l’exception YouTube», vise à permettre certaines utilisations non commerciales d’œuvres protégées par le droit d’auteur sous quatre conditions : (1) la nouvelle œuvre ne doit être utilisée qu’à des fins non commerciales, (2) la source de l’œuvre doit être mentionnée lorsque possible, (3) l’utilisateur doit raisonnablement croire que l’œuvre ayant servi à la création n’était pas contrefaite, et (4) l’utilisation de la nouvelle œuvre ne doit pas avoir un effet négatif important sur l’exploitation de l’œuvre ayant servi à sa création.
Suivant la récente décision de la Cour d’appel des États-Unis, il est clair que sous la loi américaine, l’utilisateur qui génère du contenu en ligne sans motivation commerciale a droit à une certaine protection. Toutefois, au Canada, la LDA prévoit spécifiquement une exception à la violation du droit d’auteur visant le contenu non commercial généré par l’utilisateur. Pour l’heure, l’utilisateur qui génère du contenu en ligne sans motivation commerciale semble donc être mieux protégé au Canada qu’aux États-Unis. Quoiqu’il en soit, il s’agit certes d’un pas dans la bonne direction!