Bienvenue au financement participatif en capital !

Par Martin Gauthier et Vincent Bergeron

« Le financement participatif par l’émission de titres au Canada est maintenant permis et adapté aux entreprises en démarrage du Québec, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse »

À la manière du contenu viral qui s’enflamme en quelques clics sur les réseaux sociaux, les entreprises en quête de financement sur les portails de crowdfunding peuvent vite devenir la coqueluche des internautes avides d’investissements. L’effet boule-de-neige de l’engouement mènera alors à des résultats inattendus et inespérés pour certaines d’entre elles. Hormis ces contes de fées, de plus en plus d’entreprises prennent leur essor grâce au financement participatif, certes de façon plus modeste, mais tout aussi efficace. L’importance grandissante de cette méthode de collecte de capitaux sur Internet a mené les autorités canadiennes en valeurs mobilières à préparer des mesures visant à offrir l’accès à d’autres sources de capitaux par l’assouplissement des règles d’inscription et de prospectus applicables aux émetteurs de titres.

Contexte des mesures proposées et adoptées

Effleuré dans le premier article de notre série sur le sujet, le financement participatif en capital est un des trois types de financement collectif, avec le financement en dons et le financement en dons en retour d’un produit ou service. Il se résume à la réunion de fonds auprès d’un nombre potentiellement élevé de souscripteurs par l’émission de valeurs mobilières avec retour sur investissement (RSI/ROI) comme des titres de créance (des obligations) ou des titres qui donnent droit à une participation dans l’entreprise (des actions) à partir d’un portail sur Internet. Pour émettre des titres dans le public et recueillir des capitaux, un émetteur doit normalement déposer un prospectus auprès de l’autorité compétente de sa province ou de son territoire. Or, la plupart des jeunes entreprises n’ont tout simplement pas les ressources pour remplir cette obligation qui s’avère coûteuse. Donc, jusqu’à tout récemment, le cadre légal canadien entourant le financement participatif par l’émission de titres n’était pas adapté du tout aux moyens ni aux besoins des entreprises en démarrage.

Le Projet de Règlement 45-108 sur le financement participatif, déposé le 20 mars 2014 et toujours en attente de sanction de la part des organismes fédéraux compétents, promet de remédier à la situation par la mise en place d’une dispense de prospectus pour les entreprises qui souhaitent utiliser ce mode de financement. Entre temps, c’est plutôt l’avis multilatéral 45-316 adopté le 14 mai 2015 par les autorités en valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse qui est venu instaurer des dispenses de prospectus harmonisées permettant aux entreprises en démarrage de réunir des capitaux dans ces territoires, sous certaines conditions. Le même avis établit une autre dispense, applicable aux portails de financement cette fois, qui leur évite de devoir s’inscrire en tant que courtier autorisé en valeurs mobilières. L’Ontario fait bande à part et promet de publier sa propre dispense de prospectus. La province devrait s’inspirer fortement des propositions du projet de règlement 45-108 pour ainsi s’appliquer autant aux entreprises en démarrage qu’aux entreprises déjà établies. Leur adoption est prévue pour l’automne 2015.

L’essentiel à connaître pour les entreprises en démarrage

Au Québec, l’Autorité des marchés financiers suggère une série de points à valider par les entreprises en démarrage qui désirent se prévaloir de la dispense de prospectus sous l’avis 45-316 pour lancer une campagne de financement participatif. Idéalement, ces entreprises devraient évaluer les autres sources de financement, comme un prêt d’une institution financière, estimer le temps et les efforts nécessaires à la préparation de la campagne, décider du type de titres qui seront offerts, ainsi que leur nombre et leur prix de souscription et, surtout, s’assurer que la gestion d’un grand nombre de porteurs de titres sera possibles.

Une fois ces vérifications faites, les entreprises qui décideront d’aller de l’avant devront se conformer aux conditions de la dispense de prospectus. Elles devront :

• Avoir leur siège principal dans l’une des six provinces participantes;

• Être un émetteur non assujetti au sens de la législation en valeurs mobilières applicable;

• Utiliser un portail de financement en ligne qui se prévaut de la dispense d’inscription relative aux entreprises en démarrage ou qui est exploité par un courtier inscrit au sens de la législation en valeurs mobilières applicable;

• Fournir un document d’offre au portail qui comprend de l’information de base sur elles, leur direction et leur campagne, notamment l’emploi prévu des fonds réunis et le montant minimum à réunir;

• Proposer des titres admissibles, comme des actions ordinaires, des actions privilégiées non convertibles ou des titres de créance non convertibles liés à un taux d’intérêt;

• Limiter l’investissement possible à 1500$ par souscripteur;

• Accorder aux souscripteurs un droit contractuel de résoudre leur investissement sur transmission d’un avis de résolution au portail de financement dans les 48 heures suivant l’investissement;

• Obtenir un maximum de 250 000$ par campagne de financement participatif. Au total, deux campagnes sont permises par année civile pour une même entreprise;

• S’assurer qu’aucun des promoteurs, des personnes participant au contrôle, des administrateurs et des dirigeants du portail de financement n’est un de leurs commettants;

• Amasser le montant minimum prévu au document d’offre dans un délai de 90 jours à partir de la date à laquelle le document d’offre est mis à la disposition des souscripteurs par le portail. Le portail garde les fonds en fiducie jusqu’à ce que le montant minimum soit atteint, après quoi les titres peuvent être émis. À défaut d’y arriver, le portail remboursera les fonds aux souscripteurs.

L’entrée en vigueur prochaine du Règlement 45-108 sur le financement participatif élargira la portée des dispenses de prospectus offertes sous l’avis 45-316 pour satisfaire les besoins d’entreprises plus fortunées ou plus avancées dans leur développement. Par exemple, autant les émetteurs assujettis que non assujettis pourront se les approprier et ils pourront mobiliser un montant limite allant jusqu’à 1,5 million de dollars par année, comparativement à 250 000$ avec l’avis 45-316. Par contre, les ventes devront être faites par l’entremise d’un portail inscrit à titre de courtier autorisé en valeurs mobilières et les entreprises devront remplir des obligations d’information courante de leurs états financiers, de l’utilisation du produit financé et de certains événements importants.

Voilà qui conclut ce troisième article sur le financement participatif. Nous aurons survolé le phénomène en première partie, pour ensuite mettre en évidence les enjeux de propriété intellectuelle qui s’y rattachent, puis terminer par une analyse détaillée du financement participatif en capital pour les entreprises en démarrage. Nous produirons un quatrième article sur le sujet lorsque l’entrée en vigueur du Règlement 45-108, sera annoncée. D’ici là, que le financement participatif en capital commence!