Le Left Shark de Katy Perry: comment tenter de profiter d’un phénomène viral

Par Thomas Gagnon-van Leewen et Alexandre C. Archambault

À l’ère des phénomènes viraux sur les réseaux sociaux, les plus grands succès sont souvent les plus inattendus. Comment la propriété intellectuelle peut-elle viser un phénomène viral?

La vedette de la pop Katy Perry en sait quelque chose. Lors de son spectacle à la mi-temps du SuperBowl en février dernier, elle s’est fait voler la vedette par un personnage inattendu : le dorénavant fameux Left Shark. En quelques minutes, le requin maladroit qui dansait à la gauche de la chanteuse est devenu une sensation virale et le mot-clic #leftshark s’est répandu sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Selon le site Know Your Meme, c’est le rappeur Snoop Dogg qui aurait attiré l’attention du public sur la maladresse du Left Shark.

Dans une édition précédente du bulletin ROBIC, nous avons examiné la protection accordée aux mots-clic. Mais qu’en est-il des autres aspects d’un phénomène viral spontané et imprévisible? Il existe plusieurs avenues, mais chacune présente ses propres défis.

Commençons par les marques de commerce. Dans les jours suivant son spectacle, Katy Perry a déposé aux États-Unis une demande d’enregistrement pour la marque de commerce « Left Shark » en lien avec des produits comme des étuis de téléphone, des vêtements et des jouets. Considérant l’importance du marchandisage dans l’industrie du divertissement, ce n’est pas étonnant. Reste à voir ce qu’il adviendra de cette demande d’enregistrement, mais le requin est déjà dans des eaux très tumultueuses.

Qu’en serait-il au Canada?

Au Canada, une marque de commerce doit être distinctive dans le but de permettre aux consommateurs d’identifier la source des produits ou services auxquels elle est associée. Or, dans le cas d’un phénomène accidentel comme Left Shark, l’expression jouit déjà d’une immense réputation en raison de son caractère viral. Les consommateurs associent la marque à la mésaventure du requin de Katy Perry, mais bien malgré elle : ce sont les internautes qui ont collectivement fait connaître l’expression, et non Katy Perry par ses efforts de marketing. De plus, qui est l’auteur de ce terme Left Shark? Katy Perry peut-elle clamer en être l’auteure? Là encore, la question de la paternité de ce terme risque d’être problématique.

Si la protection de l’expression « Left Shark » demeure incertaine, qu’en est-il du costume de requin en soi? C’est la question qui a opposé Katy Perry à Fernando Sosa, qui a mis en vente sur le site shapeways.com un modèle de figurine du Left Shark destiné à l’impression 3D. Par ailleurs, les questions intéressantes que soulève l’impression 3D sont explorées dans cet article d’un bulletin précédent.

Le droit d’auteur est une option intéressante : il existe automatiquement dans toute œuvre originale. Le personnage du Left Shark n’est pas une œuvre en soi, mais son costume pourrait l’être. Cependant, il faut bien identifier le titulaire du droit d’auteur : si le costume du Left Shark a été créé par un designer ayant participé à la production du spectacle, qui détient les droits? Cela dépend si le designer a cédé ses droits et à qui, surtout considérant qu’une cession de droit d’auteur doit être faite par écrit.

L’autre défi surgit si on décide de commercialiser le costume du Left Shark, comme Katy Perry l’a fait : on peut maintenant se procurer un « onesie » Left Shark officiel. Ce faisant, elle risque de déclencher une exception à la violation du droit d’auteur au Canada qui concerne les objets à fonction utilitaire produits à plus de 50 exemplaires avec le consentement du titulaire du droit d’auteur. On ouvre une dernière parenthèse en vous promettant que c’est notre dernière « plogue », mais la protection des vêtements et des costumes a été explorée dans cet excellent article de notre associée Catherine Bergeron. Fin de la parenthèse.

Dans ce contexte, la protection offerte par les dessins industriels est tout indiquée. Celle-ci protège les caractéristiques visuelles d’un objet, comme le costume du Left Shark, pour les 10 ans suivant l’enregistrement du dessin industriel.

Ce bref survol de l’application de la propriété intellectuelle au Left Shark de Katy Perry montre qu’il faut parfois naviguer en eaux troubles lorsqu’on tente de maîtriser un phénomène viral inattendu. Tout de même, le jeu en vaut la chandelle : une telle publicité gratuite ne se refuse pas!