L’affaire Dunkin’ Donuts : beignes et cafés pour 11 millions $

Par Camille Aubin et Marie-Ève Côté

En avril 2015, la Cour d’appel du Québec condamna le franchiseur Dunkin’ Brands Canada Ltd. (Dunkin’ Donuts) à payer près de 11 millions de dollars à ses franchisés après plus de 10 ans depuis l’ouverture des procédures.

Dans cette affaire, 21 franchisés opérant 32 magasins Dunkin’ Donuts au Québec ont poursuivi le franchiseur, ADRIC, pour avoir manqué à ses obligations de franchiseur entre 1995 et 2005, (soit de protéger et valoriser le réseau Dunkin’ Donuts, d’appliquer des normes de propreté ou de sécurité et des standards du système Dunkin’ Donuts, de fournir des ressources aux franchisés, etc.), ce que le franchiseur niait catégoriquement. Cette décision rappelle que le franchiseur est tenu à des obligations qui sont plus larges que celles strictement stipulées au contrat de franchise. Ce point de droit ne manquera pas de soulever de nombreuses questions pour tout franchiseur auxquelles le présent article tente de répondre.

Pourquoi un franchiseur serait-il tenu à des obligations additionnelles qui ne sont pas inscrites au contrat de franchise?

Selon l’interprétation de la Cour d’appel du Québec, le contrat de franchise établit une relation de coopération et de collaboration entre le franchiseur et ses franchisés reflétant des intérêts à la fois communs et divergents et ce, sur une longue période de temps. Les parties ont donc des obligations implicites au contrat, c’est-à-dire que celles-ci peuvent être déduites de sa lecture et de son intention plutôt que d’y être expressément prévues.

À quelles obligations implicites un franchiseur peut-il être tenu?

Assister les franchisés aux niveaux technique et commercial : Tout franchiseur a une obligation de bonne foi envers ses franchisés de laquelle découle une obligation de supporter la marque qu’il représente, et de collaborer avec ses franchisés à répondre aux conditions du marché. Cela implique de leur fournir une certaine assistance technique et commerciale constante, tant sous forme de formations, que de ressources d’aide permanente.

Assurer la protection de la réputation du réseau : Le franchiseur doit veiller à conserver la valeur et les éléments attrayants du réseau pour profiter de sa renommée tout au long du contrat. Le franchiseur a l’obligation de protéger la réputation du réseau dans son ensemble afin que sa valeur aux yeux du public n’en soit pas dépréciée.

Aider les franchisés à faire face à la concurrence : L’obligation de protéger le réseau de franchises comprend aussi l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour aider les franchisés à faire face à la concurrence et à promouvoir le développement du réseau dans son ensemble. Un franchiseur se doit donc d’être au fait des avancées des compétiteurs dans son domaine et d’être apte à répondre aux inquiétudes de ses franchisés. Toutefois, les franchisés ont également l’obligation de répondre à ces changements de cap en participant aux efforts du franchiseur et du réseau.

Intervenir auprès des franchisés qui nuisent au réseau : Tout droit que se conserve le franchiseur dans le contrat de franchise s’accompagne d’une obligation qui en constitue le miroir. Lorsqu’un franchiseur conserve un droit de supervision de son réseau et d’imposition de normes, il peut imposer le respect de normes et règles auprès de ses franchisés, mais il doit par ailleurs en superviser l’application concrète. Par exemple, dans l’affaire Dunkin’ Donuts, la Cour d’appel a reconnu que le franchiseur se devait d’agir face à ses propres franchisés lui causant préjudice, notamment lorsque ceux-ci ne respectent pas les standards de qualité et de propreté imposés au sein du réseau.

Concrètement, que doit faire un franchiseur pour protéger son réseau et aider ses franchisés?

Afin d’être considéré comme offrant suffisamment support à ses franchisés et protection de son réseau, la Cour a jugé, à travers cette décision et l’affaire Provigo qui la précédait, les éléments suivants quant aux actions d’un franchiseur : ­
Si instaurées, les mesures de contrôle des standards de propreté et de qualité chez les franchisés doivent être supervisées et appliquées;
­ Un support commercial et opérationnel doit être fourni aux franchisés. ­

  • Le franchiseur doit éviter des changements répétitifs dans la direction afin d’assurer un bon développement d’affaires pour le réseau; ­
  • Le franchiseur doit aussi éviter un retrait hâtif de produits nouvellement offerts aux clients au sein du réseau afin de diminuer l’impact de cette variation de produits auprès de la clientèle; ­
  • Le changement drastique de stratégie commerciale se doit d’être jumelé à un programme d’accompagnement des franchisés; ­
  • En cas de difficultés financières, commerciales ou concurrentielles, le franchiseur doit réagir le plus rapidement possible pour organiser une relance, car son inaction peut constituer une faute et en cas de difficultés en raison de changements sur le marché, les plans de relance doivent être réalistes et offrir des solutions à court comme à moyen et long termes.

Si un franchiseur fait défaut à ses obligations, à quel type de recours s’expose-t-il?

Le franchisé peut exiger le respect des obligations du franchiseur à son endroit, mais aussi le respect de toutes obligations du franchiseur envers le réseau en général. Autrement dit, si un franchiseur fait défaut de faire respecter les normes chez un franchisé A, le fait d’être membre du réseau octroie à un franchisé B le droit d’exiger que le franchiseur prenne ces mesures et intervienne. Lorsque ces défauts entrainent des dommages pour les franchisés, ceux-ci peuvent intenter un recours contre le franchiseur, comme ce fut le cas pour Dunkin’ Donuts. La perte de profits sera évaluée selon le rendement d’une entreprise comparable sur le marché ou selon les profits qui auraient été réalisés par le franchisé n’eut été des fautes du franchiseur.

Le 15 juin 2015, Dunkin’ Donuts a déposé une demande d’autorisation d’appel de cette décision à la Cour suprême du Canada. Il se pourrait donc que le dernier chapitre de cette saga judiciaire ne soit toujours pas écrit…Franchiseurs, soyez avertis!