Vente à la perte d’un brevet: est-ce déductible?
Par Aldine Calveyrac et Alexandre C. Archambault
Comment sont traitées les transactions impliquant des brevets du point de vue de l’impôt sur le revenu? Une décision récente de la Cour canadienne de l’impôt a examiné si la vente à perte d’un brevet était des biens amortissables pour lesquels une perte finale pourrait être réclamée.
La chose la plus difficile à comprendre au monde c’est l’impôt sur le revenu!
Albert Einstein
Bien que personne ne conteste la déclaration d’Einstein, les mécanismes prévus dans la réglementation fiscale permettent néanmoins aux contribuables de déduire certaines pertes de leur revenu. La décision 568864 B.C. Ltd. c. La Reine traite directement de cette question. Ceux qui acquièrent des brevets dans le cadre de leurs activités d’entreprise seront intéressés par la solution retenue par la Cour canadienne de l’impôt.
Les parties
Woodtone Group (ci-après « W.G. ») est une entreprise de fabrication et de vente de panneaux de bois.
Interact Wood Products Ltd. (ci-après « Interact ») a, quant à elle, développé et breveté une nouvelle technologie permettant la fabrication de grandes planches de presque n’importe quelle longueur et largeur.
W.G. était intéressé par la technologie d’Interact. Compte tenu des profits qu’elle anticipait réaliser en approvisionnant son groupe de sociétés avec le bois d’œuvre d’Interact, W.G. a avancé $ 3,5 millions à Interact. Pour garantir le prêt, le propriétaire des brevets, l’actionnaire principal d’Interact, a accordé une sûreté grevant les brevets convoités.
Lorsque Interact a commencé à éprouver des difficultés financières, W.G. a, dans le cadre des procédures de faillite d’Interact, acquis les brevets précités. Dans la mesure où les brevets garantissaient initialement le prêt de $ 3,5 millions, le syndic de faillite a attribué la propriété effective des brevets à W.G. W.G. a été réputé les avoir acquis à un coût d’environ $ 3,9 millions, ce qui comprenait diverses dépenses que W.G. avait engagées relativement à l’exploitation et la protection des brevets, et ce bien que la juste valeur marchande des brevets aurait pu être beaucoup moindre.
Deux ans plus tard, W.G. a vendu les brevets à l’une de ses sociétés pour 1 $. À ce titre, l’entreprise affirmait avoir subi une perte finale de $ 3,9 millions.
La Couronne était en désaccord, et de ce désaccord est né l’appel présenté à la Cour canadienne de l’impôt. À cet égard, la Cour devait en tout premier lieu, déterminer si W.G. avait la propriété effective des brevets au moment où elle a vendu les brevets et ensuite, décider si cette dernière avait acquis les brevets dans le but d’en tirer un revenu dans le cadre d’une exploitation d’affaires ou sur les biens mêmes.
Est-ce que W.G. détenait la propriété effective des brevets?
Afin de conclure que W.G. était bien la propriétaire effective des brevets, la Cour a tenu compte du fait qu’au moment de la faillite d’Interact en 2005, elle possédait les documents physiques associés aux brevets, avait le droit d’exploiter les processus protégés par les brevets et en assumait tous les risques y afférant.
Au-delà de la propriété effective des brevets, la Cour a également eu à se pencher sur la qualité des brevets en tant que biens susceptibles de dépréciation. A cet égard, la Cour a noté que W.G avait acquis un intérêt suffisant dans les brevets et des indices de titre : elle s’est équipée afin d’exploiter les brevets, a, à ses frais, déplacé l’équipement en lieu sûr et payé afin de protéger ses droits de propriété sur les brevets. Ce faisant, les brevets sont devenus des biens amortissables entre les mains de W.G.
Enfin, afin que W.G. puisse bénéficier de la déduction recherchée, la Cour devait s’assurer que les brevets avaient été acquis dans le but de gagner ou de procurer des revenus.
W.G. a-t-elle acquis les brevets dans le but de générer un revenu?
En vertu du Règlement de l’impôt sur le revenu, un contribuable doit avoir acquis l’actif pour lequel il demande la déduction dans le but de générer des revenus.
Ainsi, la Cour a considéré que « le but principal recherché par [W.G.] en prêtant $ 3,5 millions à Interact était de donner à Interact les moyens d’exploiter les brevets, de sorte que [W.G.] puisse obtenir les tailles de bois qu’elle voulait, quand elle le voulait et d’en tirer un revenu ».
La Cour a également remarqué que lorsque Interact a fait faillite, W.G. a, même si ses tentatives sont restées vaines, essayé de faire usage des brevets à travers une entente de coentreprise ou un partenariat avec d’autres.
Ces faits étaient suffisants pour corroborer l’acquisition des brevets en 2005 à des fins de production de revenus.
Ainsi, la Cour canadienne de l’impôt a confirmé que certains brevets étaient des biens amortissables, pour lesquels un contribuable pouvait déclarer une perte finale.