Avis aux pirates, surveillez votre boîte aux lettres!
Par Jean-Sébastien Rodriguez-Paquette
Les internautes canadiens qui téléchargent des œuvres illégalement sont maintenant plus susceptibles de recevoir un avis de la part de leur(s) fournisseur(s) de services Internet (les « FSI »).
En effet, en janvier 2015, les dernières dispositions de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur sont entrées en vigueur, officialisant une pratique volontaire déjà répandue au pays : le régime d’avis et avis.
Concrètement, les dispositions 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur obligent maintenant les FSI à transmettre à leurs utilisateurs les avis de violation présumée du droit d’auteur, envoyés par les ayants droit dont les œuvres auraient fait l’objet de piratage. En cas de téléchargement illégal d’une œuvre, l’ayant droit pourra signaler l’infraction au FSI en lui communiquant les données de localisation de l’emplacement électronique du contrefacteur (son adresse IP). Le FSI aura ensuite l’obligation de transmettre un avis aux utilisateurs ciblés, afin que ceux-ci soient informés du fait qu’une œuvre aurait été téléchargée illégalement à leur adresse IP et, le cas échéant, qu’ils cessent toute activité contrevenant à la Loi sur le droit d’auteur.
Les FSI devront également conserver, pour une période de six mois, un registre permettant d’identifier les contrefacteurs présumés. Dans le cas où des procédures judiciaires seraient intentées par un ayant droit, le registre devrait être conservé pour une période de 12 mois.
À noter que l’article 41.26 cible également les services de stockage en ligne, les hébergeurs et les moteurs de recherches, qui devront se conformer aux mêmes obligations que les FSI.
L’avis
L’avis transmis par un FSI devra notamment identifier l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur auquel la prétendue violation se rapporte. Il devra également déclarer les intérêts ou droits du demandeur à l’égard de l’œuvre ou de l’objet visé, préciser les données de localisation de l’emplacement électronique qui fait l’objet de la prétendue violation (l’adresse IP) et en préciser la date et l’heure.
Conséquences de la réception d’un avis
Le contrefacteur présumé qui se verrait adresser un tel avis ne subirait aucune autre conséquence, à court terme, que celle de voir son nom inscrit dans un registre. Ainsi, l’avis transmis par un FSI n’équivaut pas à une mise en demeure et ne permet pas à un ayant droit de réclamer quelques dommages que ce soit. Il faudra donc qu’un ayant droit entreprenne des procédures judiciaires en bonne et due forme s’il souhaite obtenir réparation pour le préjudice subi. Par le passé, de tels recours ont déjà été entrepris à l’encontre d’internautes canadiens ayant téléchargé illégalement les films The Hurt Locker et Dallas Buyers Club.
Précisons au passage que le FSI qui refuserait de collaborer et de transmettre les avis prévus par la Loi sur le droit d’auteur serait quant à lui passible de dommages et intérêts variant entre 5 000 $ et 10 000 $.
Droit à la vie privée
Le régime d’avis et avis a été conçu pour s’harmoniser avec le droit canadien sur la protection de la vie privée. En effet, puisque ce sont les ayants droit qui devront identifier les cas de contrefaçon, cela implique que les FSI n’auront pas à surveiller les activités de leurs utilisateurs. De plus, en confiant la transmission des avis aux FSI, le législateur s’assure de préserver le droit à l’anonymat des internautes vis-à-vis des ayants droit. Ceux-ci devront donc s’adresser aux tribunaux pour connaître l’identité des contrefacteurs présumés. Cela est d’ailleurs conforme à la décision R. c. Spencer, rendue par la Cour suprême en 2014, dans laquelle la Cour reconnaissait la protection constitutionnelle du droit à la vie privée relatif à l’anonymat dans le contexte de l’utilisation d’Internet.
Pas de retrait des œuvres contrefaites
Le régime d’avis et avis est la réponse canadienne à la contrefaçon sur internet. Contrairement au régime américain d’avis et retrait (notice and takedown), le régime canadien ne comporte aucune obligation pour les FSI de supprimer le contenu ou l’accès au contenu prétendument en contrefaçon.
Impact de ces nouvelles dispositions pour les internautes canadiens
L’impact de l’entrée en vigueur des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur risque d’être assez limité pour les utilisateurs, puisque la plupart des FSI collaboraient déjà, sur une base volontaire, avec les ayants droit. Ainsi, plusieurs internautes canadiens ont déjà reçu de tels avis de la part de leurs FSI. Évidemment, l’entrée en vigueur d’une obligation légale de collaborer en relayant ces avis pourrait toutefois faire augmenter la fréquence à laquelle les internautes recevront de tels avis.