Accord Canada – UE: sécurité et mise en garde

Par Jason Moscovici

Après plusieurs années de négociations, on annonçait la conclusion du texte final de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne en août 2014 qui devait être alors traduit dans les 23 langues officielles.

Le document complet a finalement été rendu public le 26 septembre 2014 à Ottawa lors du Sommet Canada-Union Européenne. Bien que beaucoup d’observateurs aient déjà spéculé sur l’impact de ce traité historique, l’accord doit d’abord être ratifié par les États membres, ce qui n’est pas susceptible de se produire avant la fin de 2015-2016.

Néanmoins, c’est maintenant le moment ou jamais de prendre un peu de recul et de réfléchir aux effets que l’AECG aura sûrement sur le paysage commercial actuel, spécialement par rapport aux nombreux obstacles techniques et réglementaires que les fabricants canadiens ont à surmonter afin d’être en mesure de vendre leurs marchandises et leurs services en UE.

Toute personne qui fabrique, distribue, importe ou exporte des produits dans le but de les vendre à l’international connaît les maux de tête qui peuvent être causés par des réglementations non harmonisées et des normes industrielles divergentes selon les pays. La classification des produits, les exigences de sécurité, l’étiquetage, les certifications, la mise en marché et les considérations environnementales hantent encore même le plus intrépide des entrepreneurs qui, bien souvent, signe des accords de distribution de nouveaux produits plus rapidement qu’il ne peut en obtenir la certification de conformité. Bien sûr, l’industrie et le public reconnaissent l’importance de passer à travers ces étapes réglementaires et c’est précisément cela, parmi beaucoup d’autres préoccupations, que l’AECG s’est engagé à rationaliser et à corriger dans le contexte d’un éventuel libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.

L’AECG en bref

En quelques mots, l’AECG est le fruit de négociations bilatérales entre l’Union européenne et le Canada qui ont commencé en 2009. L’AECG est présenté comme une initiative plus large et plus ambitieuse que l’ALENA. L’objectif de l’AECG est d’ouvrir de nouveaux marchés pour l’exportation de produits et de services canadiens dans l’UE; créant ainsi de nouveaux débouchés commerciaux pour les distributeurs, les fabricants et les fournisseurs de service canadiens.

L’un des principes directeurs de l’AECG est l’octroi d’un accès préférentiel aux produits et services canadiens grâce à l’élimination des tarifs douaniers antérieurement applicables. À la base, l’AECG prévoit supprimer environ 99% des tarifs douaniers actuellement en vigueur entre les deux économies, normalement appliqués à une grande variété de produits et services tels que les produits non agricoles (produits industriels et manufacturés), ainsi que les poissons et les fruits de mer, les produits forestiers, les produits médicaux et de biotechnologie.

Cette réduction et/ou élimination des tarifs douaniers sont considérées comme l’une des forces motrices qui, espérons-le, favorisera le commerce entre les deux économies. Cependant, les tarifs douaniers ne représentent pas le seul obstacle affectant la libre circulation des biens ou des services à travers les frontières: tel que mentionné précédemment, des obstacles techniques comme la conformité réglementaire ou encore les tests de normes de sécurité et de certification créent également une résistance à un marché libre. De telles considérations techniques ou réglementaires sont également abordées par l’AECG.

Marquage CE, l’AECG et la coopération réglementaire

À titre d’exemple des nombreuses exigences réglementaires applicables à tout produit ou service distribué ou fourni dans l’UE, le marquage CE est nécessaire pour montrer la conformité d’un produit à un regroupement de directives européennes. Le marquage reconnaissable CE permet la circulation des produits marqués CE sur le marché européen. Plus précisément, le marquage CE indique qu’un produit portant ce marquage peut être vendu dans n’importe quel État membre de l’espace économique européen et indique que le fabricant du produit a vérifié et confirmé que le produit en question est conforme aux exigences énoncées dans les directives en vigueur relatives à cette catégorie spécifique de produit. Lorsqu’une directive l’exige, le produit peut également être évalué par un organisme de réglementation indépendant pour établir cette conformité. Par exemple, disons qu’un manufacturier qui fabrique un jouet populaire déjà en vente en Asie désire vendre et distribuer ce jouet dans quelques états européens. Pour ce faire, il devra d’abord vérifier auprès des autorités compétentes si des directives CE spécifiques existent pour cette classe de produit. S’il existe une directive qui est spécifiquement applicable à la sécurité des jouets, le manufacturier devra satisfaire aux exigences de la directive pour pouvoir marquer CE sur son produit et pour le distribuer dans les états européens.

Cette responsabilité incombe naturellement au manufacturier/fournisseur. Un marquage CE indique que toutes les exigences légales nécessaires ont été satisfaites.

Cependant, ceci, ainsi que d’autres considérations réglementaires, a été une source de confusion; et l’obtention d’un marquage CE, ou de toute autre forme de certification réglementaire requise, est reconnue pour causer des retards et des dépenses imprévues à ceux qui cherchent à entrer sur le marché de l’UE depuis l’étranger.

Par conséquent, afin d’encourager les échanges et de vraiment bénéficier du tarif « 0% », le texte consolidé de l’AECG comprend un « chapitre sur la coopération en matière de réglementation », une première du genre pour un « traité canadien de libre-échange », qui a été mis en place principalement pour répondre aux préoccupations réglementaires qui peuvent découler d’une augmentation du commerce.

Le chapitre sur la coopération en matière de réglementation de l’AECG vise à créer un cadre dans lequel la coopération entre les autorités de réglementation canadiennes et européennes serait facilitée grâce à la comparaison de données, une analyse des pratiques, une évaluation des risques ainsi que par une évaluation de l’impact global de la réglementation. Si ce n’est pas un coup de pouce pour « l’harmonisation de la réglementation » en soi, une telle coopération réglementaire devrait néanmoins diminuer les barrières commerciales et faciliter l’accès au processus d’élaboration des règlements et des évaluations de conformité, et ce de manière plus rapide et moins coûteuse. Cela ne veut pas dire qu’il y a une garantie des équivalences réglementaires des standards entre les deux marchés, mais cela implique qu’un mécanisme sera mis en place pour offrir de meilleures directives et une meilleure communication entre les organismes de réglementation qui régissent et valident ces exigences.

À cet effet, voici quelques extraits dignes de mention provenant du texte consolidé de l’AECG, section 26 portant sur la Coopération en matière de réglementation:

« Article X.2 : Principes

[…]

4. […] les Parties s’engagent à poursuivre leur coopération en matière de réglementation en tenant compte de leur intérêt mutuel, en vue d’atteindre les objectifs suivants : a) prévenir et éliminer les obstacles non nécessaires au commerce et à l’investissement; b) créer un climat propice à la concurrence et à l’innovation, y compris par la compatibilité des règlements, la reconnaissance des équivalences et la promotion de la convergence; c) favoriser les processus de réglementation transparents, efficients et efficaces qui appuient mieux les objectifs de la politique publique et permettent aux autorités de réglementation de remplir leur mandat, y compris en favorisant la mise en commun de l’information et l’utilisation accrue de pratiques exemplaires.

[…]

Article X.5 : Compatibilité des règlements

Une Partie examine les mesures ou initiatives réglementaires de l’autre Partie qui portent sur le même sujet ou sur des sujets connexes dans le but d’accroître la convergence et la compatibilité de leurs mesures réglementaires respectives, le cas échéant. Cet examen n’empêche aucune des Parties d’adopter des mesures différentes ou de choisir des approches différentes, en raison notamment de démarches institutionnelles et législatives différentes, ou de circonstances, de valeurs ou de priorités propres à une Partie. »

En ce qui concerne l’évaluation des standards, l’AECG cherche également à établir un protocole qui permettra l’acceptation réciproque des résultats de tests et d’évaluations de certification des produits par les organismes de réglementation respectifs reconnus au Canada et en UE. En outre, afin de faciliter l’évaluation et la certification d’un produit, un organisme de certification canadien aurait le pouvoir de demander l’accréditation d’un organisme situé entièrement à l’intérieur de l’UE. Si une telle accréditation est obtenue, les essais et la certification qui en découle peuvent donc être reconnus comme faisant partie d’une accréditation mutuelle pour les deux régions même si cette accréditation ne se produirait dans les faits que dans une seule de ces régions. Ceci aura pour effet de réduire les coûts de certification et d’éviter des retards réglementaires inutiles (du moins on peut l’espérer).

Par ailleurs, voici d’autres extraits dignes d’intérêt provenant du texte consolidé de l’AECG, section 6 portant sur les Obstacles technique au commerce (OTC):

«Article 3 : Coopération

Les Parties renforcent leur coopération dans les domaines des règlements techniques, des normes, de la métrologie, des procédures d’évaluation de la conformité, de la surveillance et du suivi des marchés et des activités d’application de la réglementation afin de faciliter le commerce entre elles, conformément au chapitre XXX (Coopération en matière de réglementation). Les Parties peuvent notamment promouvoir et encourager la coopération entre leurs organismes publics ou privés respectifs responsables de la métrologie, de la normalisation, des mises à l’essai, de la certification et de l’accréditation, de la surveillance et du suivi des marchés et de l’application de la réglementation, et, plus particulièrement, encourager leurs organismes d’accréditation et d’évaluation de la conformité à participer à des ententes de coopération favorisant la reconnaissance des résultats de l’évaluation de la conformité.

Article 7 : Marquage et étiquetage

[…] les Parties veillent à ce que l’élaboration, l’adoption ou l’application des règlements techniques relatifs au marquage et à l’étiquetage n’aient ni pour objet ni pour effet de créer des obstacles non nécessaires au commerce international. Ainsi, les exigences en matière d’étiquetage ou de marquage ne sont pas plus strictes pour le commerce que nécessaire pour réaliser un objectif légitime, compte tenu des risques que la non-réalisation entraînerait. »
Il faut dire cependant que la portée et l’effet de cet engagement à coopérer reste à voir et il est très probable qu’il y aura des variations d’un secteur industriel à l’autre. L’approche de l’AECG à l’égard de la coopération en matière de réglementaire est néanmoins annoncée comme une promesse qui éliminera des obstacles au commerce une fois que ses dispositions entreront en vigueur. L’Accord prescrit également une coopération « sectorielle » spécifique à l’égard de la sécurité des biens de consommation.

En conclusion, il est difficile d’évaluer tous les changements que l’AECG aura sur l’environnement actuel du commerce entre le Canada et l’Union européenne. Il va sans dire, cependant, que ceux qui sont déjà familiers avec l’exportation de produits et de services vers l’UE en provenance du Canada, ou ceux qui sont en train d’évaluer la possibilité de le faire, devraient demeurer attentifs aux autres mises à jour concernant l’AECG et devraient consulter un professionnel du droit afin qu’ils ne se fassent pas prendre dans cette nouvelle toile réglementaire.